« Coup d'État de 1987 en Tunisie » : différence entre les versions

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Le '''coup d'État du 7 novembre 1987''' voit le [[Premier ministre de Tunisie|Premier ministre]] [[tunisie]]n, [[Zine el-Abidine Ben Ali]], renverser le [[Président de la République tunisienne|président de la République]], [[Habib Bourguiba]], pour raisons de santé et accéder au pouvoir.
Le '''coup d'État du {{date-|7 novembre 1987}}''' voit le [[Chef du gouvernement tunisien|Premier ministre]] [[tunisie]]n, [[Zine el-Abidine Ben Ali]], renverser le [[Président de la République tunisienne|président de la République]], [[Habib Bourguiba]], pour raisons de santé et accéder au pouvoir.

Par la suite, Ben Ali reprend en main le [[Parti socialiste destourien (1964-1988)|Parti socialiste destourien]] qu'il transforme en [[Rassemblement constitutionnel démocratique]]. Il organise des élections anticipées au printemps [[1989]], que lui et son parti remportent largement. Dès lors, il poursuit la politique de Bourguiba dont il se positionne comme le fils spirituel, comblant ainsi les vœux de celui qui désirait {{citation|gouverner après sa mort}}. Il se maintient au pouvoir durant 23 ans, avant d'être renversé lors de la [[Révolution tunisienne|révolution de 2011]].


== Contexte ==
== Contexte ==
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== Déroulement ==
== Déroulement ==
Dans la nuit du {{Date|6|novembre|1987}}, un groupe de sept médecins tunisiens signent un rapport médical qui certifie l’incapacité mentale du président, Habib Bourguiba, d'assumer ses fonctions. {{citation|Un acte de salubrité publique}} que [[Mezri Haddad]] résume ainsi : {{Début citation}}Officiellement âgé de 84 ans, Bourguiba s'endort quand il reçoit un hôte étranger ; sous l'influence de ceux qui guignent la présidence, il chasse le lendemain le ministre qu'il a nommé la veille, il admet le remaniement ministériel proposé par son Premier ministre pour se rétracter quelques heures après… Pire que tout, il exige la révision du procès de l'intégriste Rached Ghannouchi (et la condamnation à mort de ce dernier) : « Je veux cinquante têtes […] Je veux trente têtes […] Je veux Ghannouchi »<ref name="haddad">Mezri Haddad, ''Non Delenda Carthago, Carthage ne sera pas détruite. Autopsie de la campagne antitunisienne'', éd. du Rocher, Paris, 2002</ref>.{{Fin citation}}
Dans la nuit du {{Date|6|novembre|1987}}, un groupe de sept médecins tunisiens signent un rapport médical qui certifie l'incapacité mentale du président, Habib Bourguiba, d'assumer ses fonctions. {{citation|Un acte de salubrité publique}} que [[Mezri Haddad]] résume ainsi : {{Début citation}}Officiellement âgé de 84 ans, Bourguiba s'endort quand il reçoit un hôte étranger ; sous l'influence de ceux qui guignent la présidence, il chasse le lendemain le ministre qu'il a nommé la veille, il admet le remaniement ministériel proposé par son Premier ministre pour se rétracter quelques heures après… Pire que tout, il exige la révision du procès de l'intégriste Rached Ghannouchi (et la condamnation à mort de ce dernier) : « Je veux cinquante têtes […] Je veux trente têtes […] Je veux Ghannouchi »<ref name="haddad">{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Mezri Haddad]]|titre=''Non Delenda Carthago'', Carthage ne sera pas détruite|sous-titre=autopsie de la campagne antitunisienne|éditeur=Éditions du Rocher|lieu=Paris|année=2002|pages totales=430|passage=|isbn=978-2-268-04426-2|lire en ligne=}}.</ref>.{{Fin citation}}


Ben Ali fait jouer l'[[Article 57 de la Constitution tunisienne de 1959|article 57]]<ref name="Constitution">[http://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/constitution/const1020.htm Articles 38 à 57 de la constitution tunisienne (Jurisite Tunisie)]</ref> de la [[Constitution de la Tunisie|constitution]] et prend en main le pays<ref>{{fr}} [http://www.ina.fr/video/CAB03002731/midi-2-emission-du-07-novembre-1987.fr.html « Habib Bourguiba. Le Combattant déchu », ''Midi 2'', Antenne 2, 7 novembre 1987]</ref>. Il devient, en tant que successeur constitutionnel, président et chef suprême des forces armées. Dans leur livre ''Notre ami Ben Ali''<ref>Nicolas Beau, Jean-Pierre Tuquoi et Gilles Perrault, ''Notre ami Ben Ali. L’envers du miracle tunisien'', éd. La Découverte, Paris, 2002</ref>, les journalistes [[Nicolas Beau]] et Jean-Pierre Tuquoi donnent une description des événements : {{Début citation}}Sept médecins dont deux militaires sont convoqués en pleine nuit, non pas au chevet du malade Bourguiba, mais au ministère de l’Intérieur. Parmi eux se trouve l’actuel médecin du président, le cardiologue et général [[Mohamed Gueddiche]]. Ben Ali somme les représentants de la faculté d’établir un avis médical d’incapacité du président. {{citation|Je n’ai pas vu Bourguiba depuis deux ans}} proteste un des médecins. {{citation|Cela ne fait rien ! Signe !}} tranche le général Ben Ali.{{Fin citation}}
Ben Ali fait jouer l'[[Article 57 de la Constitution tunisienne de 1959|article 57]]<ref name="Constitution">{{Lien web|langue=fr|titre=Section I - Le Président de la République|url=https://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/constitution/const1020.htm|site=jurisitetunisie.com|consulté le=7 février 2020}}.</ref> de la [[Constitution tunisienne de 1959|Constitution]] et prend en main le pays<ref>{{Lien web|langue=fr|titre=A2 Le Journal de 13H : émission du 7 novembre 1987|url=http://www.ina.fr/video/CAB03002731/midi-2-emission-du-07-novembre-1987.fr.html|date=7 novembre 1987|site=ina.fr|consulté le=7 février 2020}}.</ref>. Il devient, en tant que successeur constitutionnel, président et chef suprême des forces armées. Dans leur livre ''Notre ami Ben Ali''<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Nicolas Beau]]|auteur2=Jean-Pierre Tuquoi|titre=Notre ami Ben Ali|sous-titre=l'envers du miracle tunisien|éditeur=La Découverte|lieu=Paris|année=2002|pages totales=252|passage=|isbn=978-2-707-15404-0|lire en ligne=}}.</ref>, les journalistes [[Nicolas Beau]] et Jean-Pierre Tuquoi donnent une description des événements : {{Début citation}}Sept médecins dont deux militaires sont convoqués en pleine nuit, non pas au chevet du malade Bourguiba, mais au ministère de l'Intérieur. Parmi eux se trouve l'actuel médecin du président, le cardiologue et général [[Mohamed Gueddiche]]. Ben Ali somme les représentants de la faculté d'établir un avis médical d'incapacité du président. {{citation|Je n'ai pas vu Bourguiba depuis deux ans}} proteste un des médecins. {{citation|Cela ne fait rien ! Signe !}} tranche le général Ben Ali.{{Fin citation}}


Dans une déclaration faite à la radio nationale le lendemain matin, il rend hommage aux {{citation|énormes sacrifices}} consentis par Bourguiba, en compagnie d’hommes valeureux, au service de la libération de la Tunisie et de son développement. Il annonce dans le même temps que {{Citation|l'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse}}<ref>{{ar}} [http://telechargement.rfi.fr.edgesuite.net/rfi/francais/audio/modules/actu/R095/Discours_Ben_Ali_07_11_1987.mp3 Discours du 7 novembre 1987 suivi de sa traduction en français]</ref>. L'action est par la suite justifiée par le fait que des mouvements intégristes préparaient un coup d'État et détenaient une liste de personnalités à assassiner<ref>Michael Collins Dunn, ''Renaissance or radicalism ? Political islam. The case of Tunisia's al-Nahda'', éd. International Estimate, Washington D.C., 1992</ref>.
Dans une déclaration faite à la radio nationale le lendemain matin, il rend hommage aux {{citation|énormes sacrifices}} consentis par Bourguiba, en compagnie d'hommes valeureux, au service de la libération de la Tunisie et de son développement. Il annonce dans le même temps que {{Citation|l'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse}}<ref>{{Lien web|langue=ar|titre=Discours du 7 novembre 1987 suivi de sa traduction en français|url=http://telechargement.rfi.fr.edgesuite.net/rfi/francais/audio/modules/actu/R095/Discours_Ben_Ali_07_11_1987.mp3|date=7 novembre 1987|site=rfi.fr|consulté le=7 février 2020}}.</ref>. L'action est par la suite justifiée par le fait que des mouvements intégristes préparaient un coup d'État et détenaient une liste de personnalités à assassiner<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Michael Collins Dunn|titre=Renaissance or radicalism? Political islam|sous-titre=The case of Tunisia's al-Nahda|éditeur=International Estimate|lieu=Washington|année=1992|pages totales=109|passage=|isbn=|lire en ligne=}}.</ref>.


== Révélations ==
== Révélations ==
Dans un entretien à ''[[La Repubblica]]'' du {{Date|11|octobre|1999}}<ref>{{fr}} [http://www.presse-francophone.org/agence/archivesmois/politique/poloct99.htm « Fulvio Martini confirme que Rome a choisi Ben Ali pour remplacer Bourguiba », ''Agence France-Presse'', 11 octobre 1999]</ref>, l’[[amiral]] Fulvio Martini du [[Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare|SISMI]] déclare que les [[Service secret|services secrets]] italiens ont joué un rôle important dans la chute de Bourguiba : {{citation|Tout a commencé avec la visite en [[1984]] en [[Algérie]] du [[Président du Conseil des ministres (Italie)|président du Conseil italien]] [[Bettino Craxi]]}} explique-t-il. {{citation|Les Algériens, inquiets de la déstabilisation croissante en Tunisie, étaient alors prêts à intervenir}} dans ce pays en raison des menaces portées sur leurs intérêts stratégiques. Ainsi, l’[[Armée nationale populaire (Algérie)|armée algérienne]] aurait été prête à envahir la partie du territoire tunisien où transite le [[Gazoduc|pipeline]] qui conduit le [[gaz naturel]] algérien jusqu’en [[Sicile]]. {{citation|En [[1985]], M. Craxi m’a demandé de me rendre en Algérie pour y rencontrer les services secrets [...] l’objectif était d’éviter un coup de tête}} algérien selon Martini. {{citation|À partir de ce moment a commencé une longue opération de politique étrangère dans laquelle les services secrets ont eu un rôle extrêmement important. À la fin, nous avons estimé que le général Ben Ali était l’homme capable de garantir, mieux que Bourguiba, la stabilité en Tunisie}} ajoute-t-il. {{citation|Nous avons proposé cette solution aux Algériens qui en ont parlé aux Libyens. Je suis allé en parler aux Français [...] Le chef des [[Direction générale de la sécurité extérieure|services secrets]] de l’époque, le général [[René Imbot]], m’a traité avec arrogance et m’a dit que nous autres Italiens, nous ne devions pas nous mêler de la Tunisie, qu’il s’agissait de l’empire français}} affirme Martini<ref>{{fr}} [http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-0,37-46518,0.html « L’Italie et le coup d’État en Tunisie », ''Le Monde'', 13 octobre 1999]</ref>.
Dans un entretien à ''[[La Repubblica]]'' du {{Date|11|octobre|1999}}<ref>{{Lien brisé|langue=fr|titre=Fulvio Martini confirme que Rome a choisi Ben Ali pour remplacer Bourguiba|url=http://www.presse-francophone.org/agence/archivesmois/politique/poloct99.htm|date=11 octobre 1999|site=presse-francophone.org}}.</ref>, l'[[amiral]] Fulvio Martini du [[Service des renseignements et de la sécurité militaire|SISMI]] déclare que les [[Service secret|services secrets]] italiens ont joué un rôle important dans la chute de Bourguiba : {{citation|Tout a commencé avec la visite en [[1984]] en [[Algérie]] du [[Président du Conseil des ministres d'Italie|président du Conseil italien]] [[Bettino Craxi]]}} explique-t-il. {{citation|Les Algériens, inquiets de la déstabilisation croissante en Tunisie, étaient alors prêts à intervenir}} dans ce pays en raison des menaces portées sur leurs intérêts stratégiques. Ainsi, l'[[Armée nationale populaire (Algérie)|armée algérienne]] aurait été prête à envahir la partie du territoire tunisien où transite le [[Gazoduc|pipeline]] qui conduit le [[gaz naturel]] algérien jusqu'en [[Sicile]]. {{citation|En [[1985]], M. Craxi m'a demandé de me rendre en Algérie pour y rencontrer les services secrets [...] l'objectif était d'éviter un coup de tête}} algérien selon Martini. {{citation|À partir de ce moment a commencé une longue opération de politique étrangère dans laquelle les services secrets ont eu un rôle extrêmement important. À la fin, nous avons estimé que le général Ben Ali était l'homme capable de garantir, mieux que Bourguiba, la stabilité en Tunisie}} ajoute-t-il. {{citation|Nous avons proposé cette solution aux Algériens qui en ont parlé aux Libyens. Je suis allé en parler aux Français [...] Le chef des [[Direction générale de la Sécurité extérieure|services secrets]] de l'époque, le général [[René Imbot]], m'a traité avec arrogance et m'a dit que nous autres Italiens, nous ne devions pas nous mêler de la Tunisie, qu'il s'agissait de l'empire français}} affirme Martini<ref>{{Lien web|langue=fr|titre=L'Italie et le coup d'État en Tunisie|url=https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/10/13/l-italie-et-le-coup-d-etat-en-tunisie_3569012_1819218.html|date=13 octobre 1999|site=lemonde.fr|consulté le=7 février 2020}}.</ref>.


Il s’agissait donc d’organiser un [[Coup d'État|coup d’État]], le plus invisible possible, et c’est ainsi que l’idée d’un {{citation|putsch médical}} aurait pris forme. L’Italie aurait garanti le ralliement du Premier ministre Ben Ali et ce choix aurait rencontré l’approbation des Algériens ainsi que des Libyens. {{citation|C’est vrai, l’Italie a remplacé Bourguiba par Ben Ali}}, conclut Martini alors que ''La Repubblica'' avait cité, le {{Date|10|octobre|1999}}, un rapport exposé le [[6 octobre]] précédent par Martini devant une commission parlementaire italienne. Pour sa part, Craxi dément, ce même 10 octobre, une participation des services secrets italiens à l’accession au pouvoir de Ben Ali. {{citation|Il n’y a aucune manœuvre ni interférence italienne dans les événements qui ont porté le président Ben Ali au pouvoir en 1987}} affirme-t-il au bureau de l’[[Agence France-Presse|AFP]] à Tunis. Selon ''Le Monde'', ces révélations de Martini n’auraient toutefois pas convaincu les spécialistes car Craxi était un ami de Bourguiba<ref>{{fr}} [http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-0,37-62971,0.html « Le soutien de M. Ben Ali », ''Le Monde'', 21 janvier 2000]</ref>.
Il s'agissait donc d'organiser un [[coup d'État]], le plus invisible possible, et c'est ainsi que l'idée d'un {{citation|putsch médical}} aurait pris forme. L'Italie aurait garanti le ralliement du Premier ministre Ben Ali et ce choix aurait rencontré l'approbation des Algériens ainsi que des Libyens. {{citation|C'est vrai, l'Italie a remplacé Bourguiba par Ben Ali}}, conclut Martini alors que ''La Repubblica'' avait cité, le {{Date|10|octobre|1999}}, un rapport exposé le [[6 octobre]] précédent par Martini devant une commission parlementaire italienne. Pour sa part, Craxi dément, ce même {{date-|10 octobre}}, une participation des services secrets italiens à l'accession au pouvoir de Ben Ali. {{citation|Il n'y a aucune manœuvre ni interférence italienne dans les événements qui ont porté le président Ben Ali au pouvoir en 1987}} affirme-t-il au bureau de l'[[Agence France-Presse|AFP]] à Tunis. Selon ''Le Monde'', ces révélations de Martini n'auraient toutefois pas convaincu les spécialistes car Craxi était un ami de Bourguiba<ref>{{Lien web|langue=fr|titre=Le soutien de M. Ben Ali|url=https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/01/21/le-soutien-de-m-ben-ali_3585458_1819218.html|date=21 janvier 2000|site=lemonde.fr|consulté le=7 février 2020}}.</ref>.


== Conséquences ==
== Culte du chiffre 7 ==
Le chiffre 7 est un symbole de la présidence de Ben Ali, présentée comme un nouveau cycle politique qui débute le {{date-|7 novembre 1987}}<ref name="auffray">{{Lien web|langue=fr|auteur=Élodie Auffray|titre=Dans la Tunisie de Ben Ali, l'étrange culte du chiffre 7|url=http://www.liberation.fr/monde/2011/01/20/dans-la-tunisie-de-ben-ali-l-etrange-culte-du-chiffre-7_708806|date=20 janvier 2011|site=liberation.fr|consulté le=7 février 2020}}.</ref>. Selon [[Vincent Geisser]], il est devenu {{citation|l'emblème chiffré du coup d'État, que la rhétorique bénalienne nomme « le Changement »}}<ref name="auffray"/>. Le {{date-|7 novembre}} devient un [[Fêtes et jours fériés en Tunisie|jour férié]], cet événement étant inscrit dans le programme [[Philatélie|philatélique]] de la [[Poste tunisienne]] à travers une série de [[Timbre postal|timbres]]<ref name="auffray"/> dont l'élément visuel principal est un chiffre 7 stylisé.
{{...}}

Ben Ali reprend en main le [[Parti socialiste destourien]] qu'il transforme en [[Rassemblement constitutionnel démocratique]]. Il organise des élections anticipées au printemps [[1989]], que lui et son parti remportent largement. Dès lors, il poursuit la politique de Bourguiba dont il se positionne comme le fils spirituel, comblant ainsi les vœux de celui qui désirait {{citation|gouverner après sa mort}}.
[[Fichier:El Loud 7.JPG|vignette|Car-ferry ''El Loud [[#Culte du chiffre 7|7]]'' décoré de portraits et de slogans présidentiels.]]

Aux côtés de l'image omniprésente du président Ben Ali, le chiffre 7 est en effet visible dans la quasi-totalité des lieux publics<ref name="auffray"/> : administrations, cafés, magasins, avenues, établissements scolaires, moyens de transport — compagnie aérienne Tuninter renommée [[Tunisair Express|Sevenair]] le {{date|7 juillet 2007}} (soit le {{7e}} jour du {{7e}} mois de l'année 2007) ou nom d'un [[avion de ligne]] de la compagnie [[Tunisair]] —, stades (comme celui de [[Stade olympique de Radès|Radès]]), infrastructures (comme l'[[Aéroport international de Tabarka-Aïn Draham|aéroport international de Tabarka]]), etc. Le chiffre est également utilisé par le régime dans le domaine des médias qu'il contrôle et notamment de la [[télévision]] : la première chaîne nationale est renommée TV7 puis [[Télévision tunisienne 1|Tunisie 7]].


Il est par ailleurs utilisé comme indicatif des numéros de [[téléphone]] — les numéros de la région de Tunis commencent par 71, ceux de la région du [[Sahel tunisien|Sahel]] par 73, etc. — et dans les numéros de [[Short Message Service|SMS]] utilisés lors des jeux télévisés (87 y est toujours accompagné d'un autre 7). Enfin, sur les [[Carte d'identité|cartes d'identités]], sept [[Drapeau de la Tunisie|drapeaux tunisiens]] sont présents côté recto et sept [[colombe]]s côté verso<ref name="auffray"/>. D'après Geisser, « le régime a trouvé avec ce chiffre un substitut plus ou moins subtil aux statues érigées par le despote ([[Habib Bourguiba#Culte de la personnalité|Bourguiba]]) ». Après le départ de Ben Ali, les références au chiffre 7 sont progressivement supprimées<ref name="auffray"/>. Par exemple, l'une des avenues les plus importantes de [[Tunis]], l'avenue du 7-Novembre, prend le nom de [[Mohamed Bouazizi]] en hommage au jeune homme dont la tentative de suicide a conduit à la [[révolution tunisienne]]<ref>{{Lien brisé|langue=fr|titre=La place et l'Avenue 7 novembre de Tunis rebaptisées place 14 janvier 2011 et avenue Mohamed Bouazizi|url=http://www.tap.info.tn/fr/index.php?option=com_content&task=view&id=32928&Itemid=42|date=17 février 2011|site=tap.info.tn}}.</ref> ; la chaîne de télévision nationale change de nom en [[Télévision tunisienne 1|Wataniya 1]].
Il se maintient au pouvoir durant 23 ans, avant d'être renversé lors de la [[Révolution tunisienne de 2010-2011|révolution de 2011]].


== Références ==
== Références ==
{{références}}
{{Références}}


{{Palette|Habib Bourguiba|Zine El Abidine Ben Ali|Histoire de la Tunisie}}
{{Palette|Habib Bourguiba|Zine El Abidine Ben Ali|Histoire de la Tunisie}}
{{Portail|Tunisie|histoire}}
{{Portail|Tunisie|années 1980}}


[[Catégorie:Coup d'État]]
[[Catégorie:Coup d'État ou tentative de coup d'État au XXe siècle|Tunisie 1987]]
[[Catégorie:Coup d'État en Tunisie|1987]]
[[Catégorie:Histoire contemporaine de la Tunisie]]
[[Catégorie:Histoire contemporaine de la Tunisie]]
[[Catégorie:Novembre 1987]]
[[Catégorie:1987 en Tunisie]]
[[Catégorie:1987 en Tunisie]]

Dernière version du 1 mai 2024 à 15:42

Le coup d'État du voit le Premier ministre tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, renverser le président de la République, Habib Bourguiba, pour raisons de santé et accéder au pouvoir.

Par la suite, Ben Ali reprend en main le Parti socialiste destourien qu'il transforme en Rassemblement constitutionnel démocratique. Il organise des élections anticipées au printemps 1989, que lui et son parti remportent largement. Dès lors, il poursuit la politique de Bourguiba dont il se positionne comme le fils spirituel, comblant ainsi les vœux de celui qui désirait « gouverner après sa mort ». Il se maintient au pouvoir durant 23 ans, avant d'être renversé lors de la révolution de 2011.

Contexte[modifier | modifier le code]

Déroulement[modifier | modifier le code]

Dans la nuit du , un groupe de sept médecins tunisiens signent un rapport médical qui certifie l'incapacité mentale du président, Habib Bourguiba, d'assumer ses fonctions. « Un acte de salubrité publique » que Mezri Haddad résume ainsi :

« Officiellement âgé de 84 ans, Bourguiba s'endort quand il reçoit un hôte étranger ; sous l'influence de ceux qui guignent la présidence, il chasse le lendemain le ministre qu'il a nommé la veille, il admet le remaniement ministériel proposé par son Premier ministre pour se rétracter quelques heures après… Pire que tout, il exige la révision du procès de l'intégriste Rached Ghannouchi (et la condamnation à mort de ce dernier) : « Je veux cinquante têtes […] Je veux trente têtes […] Je veux Ghannouchi »[1]. »

Ben Ali fait jouer l'article 57[2] de la Constitution et prend en main le pays[3]. Il devient, en tant que successeur constitutionnel, président et chef suprême des forces armées. Dans leur livre Notre ami Ben Ali[4], les journalistes Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi donnent une description des événements :

« Sept médecins dont deux militaires sont convoqués en pleine nuit, non pas au chevet du malade Bourguiba, mais au ministère de l'Intérieur. Parmi eux se trouve l'actuel médecin du président, le cardiologue et général Mohamed Gueddiche. Ben Ali somme les représentants de la faculté d'établir un avis médical d'incapacité du président. « Je n'ai pas vu Bourguiba depuis deux ans » proteste un des médecins. « Cela ne fait rien ! Signe ! » tranche le général Ben Ali. »

Dans une déclaration faite à la radio nationale le lendemain matin, il rend hommage aux « énormes sacrifices » consentis par Bourguiba, en compagnie d'hommes valeureux, au service de la libération de la Tunisie et de son développement. Il annonce dans le même temps que « l'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse »[5]. L'action est par la suite justifiée par le fait que des mouvements intégristes préparaient un coup d'État et détenaient une liste de personnalités à assassiner[6].

Révélations[modifier | modifier le code]

Dans un entretien à La Repubblica du [7], l'amiral Fulvio Martini du SISMI déclare que les services secrets italiens ont joué un rôle important dans la chute de Bourguiba : « Tout a commencé avec la visite en 1984 en Algérie du président du Conseil italien Bettino Craxi » explique-t-il. « Les Algériens, inquiets de la déstabilisation croissante en Tunisie, étaient alors prêts à intervenir » dans ce pays en raison des menaces portées sur leurs intérêts stratégiques. Ainsi, l'armée algérienne aurait été prête à envahir la partie du territoire tunisien où transite le pipeline qui conduit le gaz naturel algérien jusqu'en Sicile. « En 1985, M. Craxi m'a demandé de me rendre en Algérie pour y rencontrer les services secrets [...] l'objectif était d'éviter un coup de tête » algérien selon Martini. « À partir de ce moment a commencé une longue opération de politique étrangère dans laquelle les services secrets ont eu un rôle extrêmement important. À la fin, nous avons estimé que le général Ben Ali était l'homme capable de garantir, mieux que Bourguiba, la stabilité en Tunisie » ajoute-t-il. « Nous avons proposé cette solution aux Algériens qui en ont parlé aux Libyens. Je suis allé en parler aux Français [...] Le chef des services secrets de l'époque, le général René Imbot, m'a traité avec arrogance et m'a dit que nous autres Italiens, nous ne devions pas nous mêler de la Tunisie, qu'il s'agissait de l'empire français » affirme Martini[8].

Il s'agissait donc d'organiser un coup d'État, le plus invisible possible, et c'est ainsi que l'idée d'un « putsch médical » aurait pris forme. L'Italie aurait garanti le ralliement du Premier ministre Ben Ali et ce choix aurait rencontré l'approbation des Algériens ainsi que des Libyens. « C'est vrai, l'Italie a remplacé Bourguiba par Ben Ali », conclut Martini alors que La Repubblica avait cité, le , un rapport exposé le 6 octobre précédent par Martini devant une commission parlementaire italienne. Pour sa part, Craxi dément, ce même , une participation des services secrets italiens à l'accession au pouvoir de Ben Ali. « Il n'y a aucune manœuvre ni interférence italienne dans les événements qui ont porté le président Ben Ali au pouvoir en 1987 » affirme-t-il au bureau de l'AFP à Tunis. Selon Le Monde, ces révélations de Martini n'auraient toutefois pas convaincu les spécialistes car Craxi était un ami de Bourguiba[9].

Culte du chiffre 7[modifier | modifier le code]

Le chiffre 7 est un symbole de la présidence de Ben Ali, présentée comme un nouveau cycle politique qui débute le [10]. Selon Vincent Geisser, il est devenu « l'emblème chiffré du coup d'État, que la rhétorique bénalienne nomme « le Changement » »[10]. Le devient un jour férié, cet événement étant inscrit dans le programme philatélique de la Poste tunisienne à travers une série de timbres[10] dont l'élément visuel principal est un chiffre 7 stylisé.

Car-ferry El Loud 7 décoré de portraits et de slogans présidentiels.

Aux côtés de l'image omniprésente du président Ben Ali, le chiffre 7 est en effet visible dans la quasi-totalité des lieux publics[10] : administrations, cafés, magasins, avenues, établissements scolaires, moyens de transport — compagnie aérienne Tuninter renommée Sevenair le (soit le 7e jour du 7e mois de l'année 2007) ou nom d'un avion de ligne de la compagnie Tunisair —, stades (comme celui de Radès), infrastructures (comme l'aéroport international de Tabarka), etc. Le chiffre est également utilisé par le régime dans le domaine des médias qu'il contrôle et notamment de la télévision : la première chaîne nationale est renommée TV7 puis Tunisie 7.

Il est par ailleurs utilisé comme indicatif des numéros de téléphone — les numéros de la région de Tunis commencent par 71, ceux de la région du Sahel par 73, etc. — et dans les numéros de SMS utilisés lors des jeux télévisés (87 y est toujours accompagné d'un autre 7). Enfin, sur les cartes d'identités, sept drapeaux tunisiens sont présents côté recto et sept colombes côté verso[10]. D'après Geisser, « le régime a trouvé avec ce chiffre un substitut plus ou moins subtil aux statues érigées par le despote (Bourguiba) ». Après le départ de Ben Ali, les références au chiffre 7 sont progressivement supprimées[10]. Par exemple, l'une des avenues les plus importantes de Tunis, l'avenue du 7-Novembre, prend le nom de Mohamed Bouazizi en hommage au jeune homme dont la tentative de suicide a conduit à la révolution tunisienne[11] ; la chaîne de télévision nationale change de nom en Wataniya 1.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Mezri Haddad, Non Delenda Carthago, Carthage ne sera pas détruite : autopsie de la campagne antitunisienne, Paris, Éditions du Rocher, , 430 p. (ISBN 978-2-268-04426-2).
  2. « Section I - Le Président de la République », sur jurisitetunisie.com (consulté le ).
  3. « A2 Le Journal de 13H : émission du 7 novembre 1987 », sur ina.fr, (consulté le ).
  4. Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, Notre ami Ben Ali : l'envers du miracle tunisien, Paris, La Découverte, , 252 p. (ISBN 978-2-707-15404-0).
  5. (ar) « Discours du 7 novembre 1987 suivi de sa traduction en français », sur rfi.fr, (consulté le ).
  6. (en) Michael Collins Dunn, Renaissance or radicalism? Political islam : The case of Tunisia's al-Nahda, Washington, International Estimate, , 109 p..
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