« Toussaint Louverture » : différence entre les versions

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== Biographie ==
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=== Toussaint Bréda, un habitant noir propulsé chef militaire d’esclaves insurgés ===
=== Toussaint LOnna, un habitant noir propulsé chef militaire d’esclaves insurgés ===


==== Un noir créole affranchi, contribuant au système esclavagiste ====
==== Un noir créole affranchi, contribuant au système esclavagiste ====

Version du 23 janvier 2017 à 17:03

François-Dominique Toussaint Louverture
Toussaint Louverture
Toussaint Louverture.

Surnom Louverture
Nom de naissance Toussaint
Naissance Vers 1743
Plantation Bréda, près du Cap-Français (Saint-Domingue)
Décès (à environ 60 ans)
Fort de Joux, La Cluse-et-Mijoux (France)
Origine Créole
Allégeance Armée des esclaves insurgés royalistes
(1791-1794)
Drapeau de l'Espagne Royaume d'Espagne
(1793-1794)
Drapeau de la France République française
(1794-1802)
Arme Cavalerie
Grade Général de division
Années de service 17911803
Conflits Révolution haïtienne
Faits d'armes Expédition de Saint-Domingue

François-Dominique Toussaint Louverture, à l'origine Toussaint de Breda, né vers 1743 près du Cap-Français (actuel Cap-Haïtien), mort en captivité le à La Cluse-et-Mijoux (Doubs), est un homme politique français[1] des Antilles d'origine afro-caribéenne. Descendant d'esclaves noirs, il joue un rôle historique de premier plan en tant que chef de la Révolution haïtienne (1791-1802) et devient une des grandes figures des mouvements anticolonialiste, abolitionniste et d'émancipation des Noirs.

L’historiographie haïtienne ou encore l’œuvre de l’abolitionniste Victor Schœlcher ont érigé Toussaint Louverture en modèle de libérateur de l’oppression. D'autres historiens présentent une vision plus contrastée du personnage, nostalgique d’un Saint-Domingue « perle des Antilles », dans lequel il a grandi et prospéré et dont l'opposition au système colonial de l’Ancien Régime serait à nuancer. Pourtant, c’est bien la Révolution qui porte cet ancien esclave noir affranchi dans les plus hautes strates du pouvoir militaire puis politique de la colonie française de Saint-Domingue jusqu'à sa chute face à l'armée du général Leclerc envoyée par le Premier consul Bonaparte qui, parallèlement, rétablit l'esclavage (1802). Arrêté et emmené en France, Toussaint Louverture finira ses jours en 1803, incarcéré en isolement au fort de Joux, dans le rude climat du Doubs, sans avoir pu connaître la proclamation d'indépendance d'Haïti le par son ancien lieutenant Dessalines.

Biographie

Toussaint LOnna, un habitant noir propulsé chef militaire d’esclaves insurgés

Un noir créole affranchi, contribuant au système esclavagiste

La première partie de l’existence de Toussaint appartient en grande partie à la mythologie. Il serait né esclave à Saint-Domingue (actuelle Haïti à ne pas confondre avec la capitale de la République Dominicaine) au début des années 1740; non pas libre en Afrique car Toussaint occupait des fonctions de domestique, très certainement de cocher, une faveur qui n’était réservée qu’aux créoles[2]. On raconte, au sujet de ses origines, qu’il aurait été le fils d’un prince africain Allada (actuel Bénin). Cette rumeur circulait de son vivant. L’historien français du XIXe siècle Antoine Marie Thérèse Métral rapporte qu’« en l’an X, quand la perte de Toussaint Louverture fut jurée, on lui reprocha, dans les journaux, d’être le descendant d’un roi d’Afrique (voyez les journaux de vendémiaire et de brumaire de ce temps) »[3]. Selon l’historien M. Bernard Gainot, dans son cours magistral enseigné à La Sorbonne, ce mythe d’une ascendance royale trouve peut-être son origine dans le fait que Toussaint Louverture savait lire et écrire, que cela impressionnait énormément les autres esclaves. Pourtant Toussaint n’a été alphabétisé que tardivement, puisqu’en 1779 il déclarait, dans un acte, ne savoir « ni signer, ni écrire »[4]. Son éducation lettrée a donc été indépendante de ses origines familiales.

Toussaint sert d'abord comme esclave sur l’habitation Bréda, située sur le Haut du Cap au nord de l’île. Il est le protégé du gérant Bayon de Libertat, qui lui aurait accordé une « liberté de savane » ; en d’autres termes, il bénéficie de la liberté de mouvements sans l’affranchissement[2]. Selon les historiens Menier, Debine et Fouchard, son affranchissement se serait produit en 1776[5]. Mais cette date est ambiguë car basée sur un acte où il est question d’un autre affranchi : on ne sait donc pas si la date indiquée le concerne vraiment. De ce fait, s’il est certain qu’en 1776 Toussaint est totalement libre, il est probable que son affranchissement remonte à la fin des années 1760 ou au début des années 1770. Une fois affranchi, Toussaint prend comme patronyme « Bréda », le nom de l’habitation dont il avait été l’esclave. En 1779, on retrouve Toussaint Bréda à la tête d’une habitation produisant du café au Petit-Cormier et comportant 13 esclaves parmi lesquels un certain Jean-Jacques qui n'est autre que son futur successeur et empereur Dessalines, comme l'a découvert récemment Jacques de Cauna[6].

Toussaint Bréda fait ainsi partie des esclaves noirs qui bénéficient, sous l’Ancien Régime, d’une ascension sociale. Sa situation, à l’aube de la Révolution française, est donc plutôt confortable pour un noir des colonies. Or la Révolution française menace l’ordre socio-économique dont il est, relativement, l'un des bénéficiaires.

La question du rôle de Toussaint Breda dans la révolte des esclaves du Nord en 1791

Il existe deux courants historiographiques au sujet du rôle joué par Toussaint Louverture dans la révolte des esclaves du Nord en 1791.

  • Le plus important courant, représenté par Jacques de Cauna, le présente comme l’un des instigateurs importants de l’insurrection dont il fut l'organisateur auprès des ateliers du Nord[7]. L’historien haïtien du XIXe siècle Céligny Ardouin rapporte à partir de témoignages d’anciens vétérans, que Toussaint Bréda aurait été contacté par les royalistes pour fomenter l’insurrection. Les royalistes cherchaient, par ce biais, à porter atteinte au mouvement des patriotes autonomistes, c’est-à-dire aux petits Blancs. L’insurrection lancée, la première réaction de Toussaint Bréda a été de mettre à l’abri son ancien maître Bayon de Libertat. Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce fait. La première hypothèse est qu’il n’aurait pas envisagé que le mouvement puisse se retourner contre les grands blancs. La seconde est qu’il ne serait tout simplement pas l’un des fomenteurs de l’insurrection.
  • Le deuxième courant historiographique est animé par l'auteur Pierre Pluchon[8]. Pour lui, Toussaint Bréda n’était pas forcément en phase avec ce mouvement insurrectionnel qui le menaçait d’une double manière : en tant que maître d’esclaves et de biens, il pouvait être la proie des insurgés ; dans la confusion des représailles quasi-imminentes des Blancs, il pouvait facilement être une victime de la répression. Par conséquent, avec une certaine habileté, Toussaint Bréda aurait adopté un double jeu. D’une part, en mettant à l’abri son ancien maître Bayon de Libertat, Toussaint se serait assuré d’avoir un protecteur influent auprès des autorités coloniales. D’autre part, en approchant les insurgés en tant que médecin grâce à sa connaissance des plantes, il se serait assuré la protection de ses biens. Ce n’est peut-être qu’a posteriori, que ce double jeu lui aurait permis de s’ériger en intermédiaire entre les royalistes et les insurgés, puisque sa personne, connue des autorités à travers Bayon de Libertat, aurait été en mesure d’apporter une certaine honorabilité au mouvement. Ainsi, on note qu’il est l'un des signataires de l’adresse à l’Assemblée coloniale du proposant en vain une amnistie générale, avec les deux meneurs de l’insurrection Jean-François et Biassou[9]. L’enlisement marqué par l’extension du mouvement et la relative paralysie des propriétaires européens et mulâtres l’aurait poussé à s’impliquer davantage dans l’insurrection, dans le but de canaliser les insurgés, le transformant ainsi en meneur d’hommes. Cette vision critique émanant d'un auteur iconoclaste est toutefois loin de faire consensus auprès des historiens universitaires qui en critiquent le biais idéologique et l'absence d'un certain nombre de sources[10].

Un brillant organisateur militaire : l’avènement de Toussaint Louverture

Toussaint Bréda, en plus d’occuper des fonctions de médecin chez les insurgés, offre ses services de conseiller à Biassou qu’il juge plus malléable que Jean-François, le chef suprême[11]. D’après l’historien M. Bernard Gainot, il lui organise une garde disciplinée à l’européenne qui tranche avec la totale désorganisation des insurgés. Pour Toussaint, cela est peut-être une question de survie : être à la tête d’un mouvement discipliné lui est sans doute plus efficace pour protéger sa personne et ses biens qu’être seul face à une horde d’insurgés laissés à eux-mêmes.

Au printemps 1793, les Espagnols offrent aux révoltés, un sanctuaire en même temps que la liberté à ceux qui combattraient pour eux. Toussaint Bréda, à la tête de son armée de 3 à 4 000 Noirs, est vite remarqué pour ses talents militaires et sa discipline[9]. Ainsi est-il promu lieutenant-général. Toussaint troque alors son nom Bréda pour Louverture, surnom qui, bien que faisant l’objet de spéculations diverses, devait suggérer son habileté à ouvrir une brèche dans les rangs de l’adversaire. Ses qualités militaires le mènent à développer des ambitions politiques.

Un éminent politique : de l’opportunisme à la conduite de la Révolution dominguoise

1793-94 : Une conduite pragmatique et séditieuse vis-à-vis des Espagnols, Jean-François et Biassou

Toussaint s’émancipe rapidement de la tutelle des deux chefs historiques du mouvement ainsi que de celle des Espagnols, en entretenant des relations avec le camp français[12]. Le , il rallie ainsi le camp républicain sur l’offre du 5 mai 1794 du gouverneur général Lavaux. Longtemps, les historiens ont cru que cette décision avait été motivée par l’officialisation de l’abolition de l’esclavage par la Convention le 4 février 1794. L’historien américain M. John Garrigus a démontré le contraire : la mesure de la Convention n’avait pas encore été portée à l’île.

Toutefois, il est vrai, la proclamation par Sonthonax, commissaire de la République pour Saint-Domingue, de la liberté générale sur l’île en août 1793 rend le camp français plus attractif pour les anciens cultivateurs esclaves, que le camp espagnol. En mai 1794, Lavaux peut ainsi armer de nombreux cultivateurs avec les 30 000 fusils qu’il avait reçus de la deuxième commission civile. Ce n’est donc qu’une fois l’armée française passée à l’offensive que Toussaint Louverture rallie les abolitionnistes. Pour autant, il n’est pas impossible que Toussaint ait vu dans la cause abolitionniste, l’idéologie qui pourrait lui permettre de survivre politiquement. Une autre raison l’ayant poussé dans le camp français est que Toussaint Louverture était en conflit ouvert avec ses supérieurs. Il venait d’échapper à un attentat dont la responsabilité a été attribuée à Jean-François. Avec Biassou, ses relations n’étaient pas meilleures[13].

Sa défection du camp espagnol marque ainsi son engagement en faveur de l’abolition de l’esclavage. L’année suivante, l’Espagne capitule.

1794-1797 : Au service de la République françaisnne, disciplinés. Cet apport estrxzdetyhèiù*$dog^h),irup;ioedghnetyh"zt"uj(tru_k( décisif dans la reprise en main du Nord de Saint-Domingue par les républicains. En 1795, les Espagnols vaincus signent la paix avec la France et lui cèdent Santo Domingo. Toussaint Louverture domine alors la province du Nord, à l'exception du Cap-Français contrôlé par le général Villatte[14]. En récompense de ses services, Toussaint fait partie de la promotion du permettant l’accès à de nombreux officiers de couleur au grade de général de brigade.

La figure de Toussaint Louverture, particulièrement appréciée par le gouverneuol-"(

r Lavaux, finit par entraver l’ascension du général Villatte. En mars 1796, las de cette situation, Villatte se fourvoie dans un coup d'État en arrêtant le gouverneur Lavaux. Immédiatement, Toussaint intervient et le met en déroute. En récompense de sa loyauté, en plus d’être promu général de division, Toussaint est nommé, le 31 mars 1796, lieutenant gouverneur de Saint-Domingue, occupant de fait le second rang derrière Lavaux[15].

Le 11 septembre 1796, Toussaint Louverture profite que le corps électoral soit majoritairement formé de soldats pour donner des consignes afin d’élire le gouverneur Lavaux et le commissaire civil Sonthonax comme députés. Toussaint n’est pas immédiatement nommé commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue en remplacement de Lavaux. Il doit attendre le 3 mai 1797 pour obtenir ce poste par Sonthonax[14]. Une fois la promotion obtenue, Toussaint expédie manu militari, en août 1797, Sonthonax siéger en métropole, ce dernier lui portant ombrage notamment auprès des Noirs dont il était très apprécié. Toussaint, jaloux de son autorité, glisse vers un pouvoir très personnel.

1798-1802 : Le « primat » et la cristallisation d’un Nord noir face à un Sud mulâtre

En août 1798, Toussaint Louverture obtient la reddition des Britanniques occupant encore l’Ouest de l’île. L’accord signé entre les deux parties prévoit notamment l’ouverture des ports de Saint-Domingue aux navires de commerce britanniques, alors même que la France est encore en guerre avec la Grande-Bretagne[16]. Le général Hédouville, supérieur hiérarchique de Toussaint en poste depuis mars 1798, furieux d’une telle insubordination, s’émeut plus encore par le contenu de l’accord. La dégradation de leur relation est telle que Toussaint organise, en octobre 1798, une révolte populaire forçant Hédouville à quitter l’île. La veille de son départ forcé, Hédouville décharge le général André Rigaud contrôlant le Sud de l’île, de toute sujétion à l’égard de Toussaint Louverture.

En juin 1799, Toussaint entre en guerre contre Rigaud. C'est la « guerre du Sud », vue comme un conflit entre la "caste" des Noirs (représentés par Toussaint) et la "caste" des Mulâtres (représentés par Rigaud). Le conflit entre les deux hommes n’est pourtant pas une question de couleur, mais une véritable lutte pour le pouvoir et le contrôle du territoire[15]. Il n’empêche qu'une véritable guerre d’extermination[non neutre] est menée contre les mulâtres du Sud ; près de 10 000 d’entre eux périssent[réf. nécessaire]. En juillet 1800 Toussaint sort vainqueur[17]. Six mois après, la partie espagnole, officiellement française depuis 1795, est envahie par Toussaint. Mais la consécration est en février 1801, lorsque Bonaparte nomme Toussaint capitaine-général de Saint-Domingue. Le général noir devient ainsi le dépositaire officiel du pouvoir exécutif.

En moins d’une décennie, Toussaint Louverture, chef militaire autodidacte, célébré à la fois par les Noirs et les Blancs, est parvenu à se hisser politiquement à la plus haute fonction de Saint-Domingue. Sous son impulsion, la révolution dominguoise permet l’instauration d’un nouvel ordre, inspiré du modèle colonial de l’Ancien régime, mais profitant aux militaires de couleur, surtout aux Noirs.

La Révolution dominguoise, l’œuvre inachevée de Toussaint Louverture

Le projet : une restauration de l’ordre ancien au profit des Noirs créoles ?

On observe, sous le primat de Toussaint Louverture, la restauration de nombreux « symboles » de l’Ancien régime. Toussaint Louverture s’était entouré, d’après l’historien M. Gainot, d’une cour où l’étiquette était de rigueur. Les Blancs étaient nombreux à y participer. Certaines mesures prises par Toussaint marquent également une restauration des « valeurs morales ». Ainsi est rétablie la pompe de l’Église catholique lors de victoires : cette cérémonie d’Ancien régime glorifiant la lutte contre le protestantisme, a été célébrée lors des succès de Toussaint contre les Anglais. Le divorce légalisé sous la Révolution, est supprimé avec Toussaint. Les émigrés, ces planteurs blancs ayant fui la Révolution, sont rappelés afin, assurait Toussaint, de bénéficier de leurs compétences techniques.

Dès 1795, Toussaint Louverture se montre très actif pour obliger les anciens esclaves non engagés dans l’armée à reprendre le travail. Ce qui provoque des soulèvements, les cultivateurs y voyant une forme de rétablissement de l’esclavage. Toussaint utilise alors ses troupes disciplinées d’anciens esclaves pour mater ces révoltes[18]. Les habitations sont placées sous administration militaire : les officiers de Toussaint, comme Jean-Jacques Dessalines ou Henri Christophe appliquent de manière militaire les « règlements de culture ». Désormais à Saint-Domingue deux entités existent : celle des militaires et celle des cultivateurs assignés sur leurs anciennes habitations[19]. Cette forme de servage a été qualifiée par les historiens de « caporalisme agraire ».

Enfin, sous son autorité, est réalisée une vieille revendication coloniale : l’accession à l’autonomie de la colonie. À la suite du coup d’État de Bonaparte, le régime d’isonomie républicaine des colonies a été supprimé. Les colonies ont été placées sous un régime d’exception. Toussaint, informé de cette mesure, s’attelle de son propre chef à l’élaboration d’une constitution, celle du 8 juillet 1801, autonomiste et autocratique. Elle est inspirée de la constitution de l’an VIII, notamment pour la prééminence de l’exécutif et du militaire. Cette constitution le nomme gouverneur à vie, et consacre le catholicisme comme religion d’État ; et si, en théorie, elle reconnaît la liberté générale, elle envisage à terme la possibilité de recourir de nouveau à une main-d’œuvre africaine. Enfin, cette constitution institutionnalise les « règlements de culture ».

C’est compter sans Bonaparte qui, apprenant en mars 1801 la prise de possession de la partie espagnole — lui qui œuvrait pour une réconciliation franco-espagnole —, entre dans une grande colère : à ses yeux, cette constitution est un affront de trop et Toussaint Louverture devient dangereux[20]. La réaction du Premier consul de France Napoléon Bonaparte est l’envoi d’un corps expéditionnaire qui doit mettre un terme à l'émancipation dominguoise.

Une chute provoquée par la métropole

Acte écrit de Toussaint Louverture contre l'insurrection de 1801.

La France, en octobre 1801, entre enfin en paix avec la Grande-Bretagne : une expédition à Saint-Domingue est ainsi rendue possible. Un corps expéditionnaire est donc formé et placé sous le commandement du général Leclerc. Il comporte des officiers issus des colonies comme Rochambeau, ou encore des officiers de couleur défaits par Toussaint Louverture (Rigaud, Pétion, Villatte). L’expédition Leclerc quitte la France en décembre 1801 avec 17 000 hommes, renforcée entre mars et mai 1802 par 6 000 hommes. Toussaint dispose d’une armée de 20 000 hommes, répartie entre l'infanterie, la cavalerie et le génie. Par ailleurs, sa garde nationale, véritable troupe aguerrie, compte près de 10 000 hommes.

Le général Leclerc débute par un débarquement simultané dans tous les grands ports en février 1802, suivi d’une offensive pour refouler les rebelles. Malgré une supériorité numérique, Toussaint Louverture est rapidement défait militairement et adopte alors une tactique défensive, pratiquant la stratégie de la terre brûlée. Celle-ci n’arrête pas l’offensive menée par le corps expéditionnaire. Malgré des pertes importantes, les troupes françaises sont victorieuses, si bien que les officiers de Toussaint, à l’exemple de Maurepas ou Henri Christophe, font tour à tour défection. Le , Toussaint Louverture est contraint de capituler, puis est assigné à résidence dans sa propriété dans l’île.

Avec la chute de Toussaint Louverture, la Révolution dominguoise connaît un coup d’arrêt. Trop progressiste pour Bonaparte, trop réactionnaire aux yeux des cultivateurs, le régime de Toussaint Louverture ne semble satisfaire personne, à l’exception de la nouvelle élite de militaires de couleur, grande bénéficiaire du nouvel ordre. C’est finalement dans une certaine indifférence que le , en dépit des promesses faites en échange de sa reddition, Toussaint Louverture — ainsi qu'une centaine de ses proches — est déporté en France : il est embarqué avec sa famille sur la frégate la Créole et transbordé au large du Cap-Haïtien sur le Héros qui le transporte à Brest. Enfermé au fort de Brest le 14 juillet 1802, il est transféré huit jours plus tard avec son fidèle serviteur Mars Plaisir au fort de Joux où il meurt le , après un hiver toujours rude dans le Doubs.

Il faut attendre la fin de la Révolution haïtienne pour que l’œuvre amorcée par Toussaint Louverture trouve son aboutissement, et qu'il soit érigé pour la postérité en héros national haïtien. En effet, c'est son ancien lieutenant Jean-Jacques Dessalines qui proclame l'indépendance de la République le .

Citation

« En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses »[21]. Ces mots sont ceux qu’aurait prononcés Toussaint Louverture, le 7 juin 1802, à l'instant de monter sur le navire Le Héros qui le déporte en France avec sa famille.

Cette citation doit être restituée dans une certaine historiographie, confinant parfois à une légende dorée associant Toussaint au « Spartacus noir » prophétisé par l’abbé Raynal[22].

Hommage posthume

Galerie d'images

Selon une étude du chercheur haïtien Fritz Daguillard, seuls deux portraits d'époque semblent assez proches de leur modèle. Le premier est l'aquarelle réalisée probablement d'après nature par Nicolas-Eustache Maurin, reproduit en gravure par François Delpech. L'original fut offert par Toussaint à Roume. Le second portrait a été réalisé par M. de Montfayon, ingénieur sous les ordres de Toussaint. Il a été désigné par Isaac Toussaint comme étant le seul portrait dans lequel il trouvait son père reconnaissable[25],[26]. Enfin, un portrait[27] dessiné par Pierre-Charles Baquoy a été retrouvé en 1989 à Port-au-Prince, authentifié et publié par l'historien français Jacques de Cauna dans Haïti, l'éternelle Révolution et reproduit dans Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti et la réédition critique des Mémoires du général Toussaint Louverture (couverture) par le même auteur.

Lieux de mémoire

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Fort de Joux, Doubs, cellule, buste, plaque commémorative du centenaire de la mort de Toussaint Louverture.
  • Mémorial Toussaint Louverture dans la commune de La Cluse-et-Mijoux (Doubs).
  • Mémorial Toussaint Louverture à Allada, Bénin, ville natale du père du héros de l'indépendance d'Haïti et de l'abolition de l'esclavage.

Œuvres

  • Toussaint Louverture, Mémoires du général Toussaint Louverture, écrits par lui-même, par Toussaint Louverture, Joseph Saint-Rémy, 1853 (texte en ligne).
  • Toussaint Louverture, Mémoires du général Toussaint Louverture, écrits par lui-même, réédition critique comprenant l'édition originale de 1853 suivie de l'intégralité de la retranscription du manuscrit original de la main de Toussaint Louverture, préface et notes de Jacques de Cauna, Éditions La Girandole, 2009, 280 p.

Pour approfondir

Bibliographie

  • Henri Castonnet Des Fosses, La perte d’une colonie : La révolution de Saint-Domingue, Paris, A. Faivre, , 380 p. (lire en ligne).
  • Jacques de Cauna, Haïti, l'éternelle Révolution, Port-au-Prince, Ed. Deschamps, 1989-1997, et réédition Pau, PRNG Pyrémonde, 2009.
  • Jacques de Cauna, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, SFHOM et Karthala, 2004.
  • Jacques de Cauna, Mémoires du général Toussaint Louverture, commentés par Saint-Rémy, Guitalens l'Albarède, La Girandole, 2009.
  • Jacques de Cauna, Toussaint Louverture. Le Grand Précurseur, Bordeaux, Ed. Sud-Ouest, 2012.
  • Aimé Césaire, Toussaint Louverture ; La Révolution française et le problème colonial (essai), Club Français du Livre, Paris, 1960 (réédité par Présence Africaine en 1962 et 1981).
  • Jean-Louis Donnadieu, Toussaint Louverture - Le Napoléon Noir, Belin, 2014.
  • Laurent Dubois, Les Vengeurs du Nouveau Monde — Histoire de la Révolution haïtienne, trad. de l'anglais (États-Unis) par Thomas Van Ruymbeke, les Perséides, 2006.
  • Alain Foix, Toussaint Louverture, Gallimard, « Folio Biographies », 2007.
  • Alain Foix, Noir, de Toussaint Louverture à Barack Obama, Galaade, 2008.
  • Abbé Grégoire, Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue & des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale, Paris, Belin, décembre 1789 [1].
  • Abbé Grégoire, Lettre aux philanthropes sur les droits, les réclamations des gens de couleur de Saint-Domingue et des autres iles françaises de l’Amérique, octobre 1790.
  • Abbé Grégoire, Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue et autres iles françaises de l’Amérique, Paris, 8 juin 1791.
  • Abbé Grégoire, De la littérature des nègres, ou Recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature ; suivies de Notices sur la vie et les ouvrages des Nègres qui se sont distingués dans les Sciences, les Lettres et les Arts, Maradan, Paris, 1808 (texte en ligne).
  • Abbé Grégoire, De la traite et de l’esclavage des noirs et des blancs, Adrien Egron, Paris, 1815, 74 p. Lire en ligne : www.manioc.org/patrimon/HASH0162c27c3995e1f288e6dcb5.
  • Victor Hugo, Bug-Jargal, P.-J. Hetzel, Paris, 1826. Premier roman de l'auteur.
  • C. L. R. James, Les jacobins noirs — Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, 1938. Traduction française, Paris, Éditions Caribéennes, 1983.
  • Alphonse de Lamartine, Toussaint Louverture, poème dramatique en cinq actes et en vers, 1850, texte reproduit dans les Œuvres poétiques de Lamartine à la « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1963.
  • Jean Métellus, Toussaint Louverture, pièce de théâtre, Hatier, 2003.
  • Jean Métellus, Toussaint Louverture, le précurseur, roman, le Temps des Cerises, 2004.
  • Colonel Nemours, Histoire de la captivité et de la mort de Toussaint Louverture : notre pèlerinage au Fort de Joux, Paris, Berger-Levrault, , 320 p. (lire en ligne).
  • Pierre Pluchon, Toussaint Louverture, Fayard, Paris, 1989.
  • Jean-Jacques Salgon. Ma vie à Saint-Domingue, Verdier, 2011.
  • Victor Schœlcher, Vie de Toussaint Louverture, Karthala, collection Relire, 1982.
  • Richard de Tussac, Cri des colons contre un ouvrage de M. l’évêque et sénateur Grégoire, ayant pour titre « De la Littérature des nègres », 1810.
  • Alain Yacou, Saint-Domingue espagnol et la révolution nègre d’Haïti, 1790-1822 : commémoration du bicentenaire de la naissance de l’État d’Haïti, 1804-2004, Karthala, , 683 p. (ISBN 9782845868526, lire en ligne).

Films

Documentaires

Fiction

Articles connexes

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Antoine Métral, Histoire de l'expédition des Français à Saint-Domingue, sous le consulat de Napoléon Bonaparte : Suivie des mémoires et notes d'Isaac Louverture sur la même expédition, et sur la vie de son père : ornée du portrait de Toussaint et d'une belle carte de Saint-Domingue, Paris, Fanjat Ainé, , 348 p. (lire en ligne), p. 325 à 339
  • Auguste Nemours, Histoire de la captivité et de la mort de Toussaint Louverture : Notre pèlerinage au Fort de Joux, Paris, , 315 p. (lire en ligne)
  • Charles-Yves Cousin d’Avallon, Histoire de Toussaint-Louverture, chef des Noirs insurgés de Saint-Domingue ; précédée d'un coup d'œil politique sur cette colonie : et suivie d'anecdotes et faits particuliers concernant ce chef des Noirs, et les agens directoriaux envoyés dans cette partie du nouveau-monde, pendant le cours de la Révolution, Paris, Pillot, , 210 p. (lire en ligne)
  • Charles Wyllys Elliott, St. Domingo, its révolution and its hero, Toussaint Louverture, New-York, J. A. Dix, , 83 p. (lire en ligne)
  • Victor Schœlcher, Conférence sur Toussaint Louverture, général en chef de l'armée de Saint-Domingue, [s.l.], Editions Panorama, , 53 p. (lire en ligne)
  • Thomas-Prosper Gragnon-Lacoste, Toussaint Louverture, général en chef de l'armée de Saint-Domingue, surnommé le premier des Noirs, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, , 398 p. (lire en ligne)
  • Henri Castonnet des Fossés, La perte d'une colonie : la révolution de Saint-Domingue, Paris, A. Faivre, , 380 p. (lire en ligne)

Biographie et contexte

Sources

  • Musée de l'histoire d'Haïti, Académie Toussaint Louverture.

Notes et références

  1. Toussaint Louverture était antillais, et son combat a débouché sur la fondation d'Haïti qui revendique à ce titre le personnage (le reste de ses cendres y ont été déposées en 1983), tandis que la France lui rend désormais hommage au Panthéon (inscription commémorative). Par anachronisme (de quelques mois par rapport à sa mort), Toussaint Louverture est très souvent présenté comme haïtien, considérant Haïti comme l'enfant posthume du personnage
  2. a et b Jacques de Cauna (éd. [Quoi ?]), Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti : témoignages pour un bicentenaire, Paris, éditions Karthala, 2004, p. 189
  3. Antoine Marie Thérèse Métral, et Isaac Toussaint Louverture, Histoire de l'expédition des Français à Saint-Domingue : sous le consultat de Napoléon Bonaparte, Paris, Fanjat aîné, 1825, p. 325
  4. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 64
  5. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 62
  6. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 63
  7. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 191-192
  8. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 158
  9. a et b Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 165
  10. Gauthier Florence. Pierre Pluchon, « Toussaint Louverture — Un révolutionnaire noir d'Ancien Régime », Annales historiques de la Révolution française, 1993, vol. 293, no 1, p. 556-558. www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1993_num_293_1_1595_t1_0556_0000_1
  11. Jacques de Cauna, Haïti, l'éternelle révolution: histoire d'une décolonisation : 1789-1804, Cressé, éditions des Régionalismes, 2009, p. 162
  12. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 162
  13. François Blancpain, La colonie française de Saint-Domingue: de l'esclavage à l'indépendance, Paris, éditions Karthala, 2004, p. 139
  14. a et b Frédéric Régent, La France et ses esclaves, Paris, Grasset, 2007, p. 255
  15. a et b Frédéric Régent, op. cit., p. 256
  16. Frédéric Régent, op. cit., p. 257
  17. Frédéric Régent, op. cit., p. 258
  18. Frédéric Régent, op. cit., p. 251
  19. Frédéric Régent, op. cit., p. 259
  20. Jacques de Cauna (éd.), op. cit., 2004, p. 171
  21. Michel Beniamino, et Arielle Thauvin-Chapot (dir.), Mémoires et cultures : Haïti, 1804-2004 : actes du colloque international de Limoges, 30 septembre-1er octobre 2004, Presses Univ. Limoges, 2006, p. 114
  22. Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des deux Indes, Paris, 1780, 3e édition
  23. Outre Mer : Esclavage. À Bordeaux, la mémoire sans la repentance
  24. Pierre Pelchat, « Un héros haïtien Toussaint Louverture honoré à Québec », Le Soleil, (consulté le ).
  25. Fritz Daguillard, The True Likeness of Toussaint Louverture, Americas,
  26. Madison Smartt Bell, Toussaint Louverture, p. 342-343
  27. Jacques de Cauna, Le véritable visage de Toussaint Louverture, Anneaux de la Mémoire • Centre de ressources et d'études des traites et de l'esclavage
  28. Jean-Jacques Salgon, « Sur les traces de Toussaint Louverture », Actualité Poitou-Charentes, no 86, octobre 2009, p. 31.