Remigration

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Manifestation anti-migrants et anti-islam organisée par PEGIDA en 2015 à Calais[1].

« Remigration » est un euphémisme et néologisme issu de l'anglais pour parler du retour, forcé ou non, des immigrés non européens dans leur pays d'origine. Le concept, souvent lié à la théorie conspirationniste d'extrême droite du « grand remplacement », est utilisé par la mouvance identitaire avec un objectif de banalisation du terme. Le terme de réémigration est quelquefois utilisé dans le même sens.

Dans un sens plus neutre, défini en 2018 au Canada, on trouve cette notion en démographie dans le cadre de l'analyse des mouvement migratoire ou en histoire, où il est utilisé pour désigner des flux migratoires s'inversant au fil du temps, fréquemment constatés après des guerres lorsque des exilés retournent dans leur pays initial après la fin des conflits.

Origine du terme

Ce mot est à l'origine un mot anglais[2],[3],[4] et est absent des dictionnaires de français[réf. nécessaire].

Il est couramment utilisé par les démographes de langue anglaise comme synonyme de « retour dans son pays d'origine » par des migrants[2]. En langue allemande, il inclut la notion de « retour dans sa communauté ethnique », sans lien géographique nécessaire avec le pays d'origine[5].

En 2018, il est défini au Canada comme le « retour des immigrants et de leurs descendants dans leur pays d'origine », la banque de données terminologiques et linguistiques précisant que le mot est « neutre, le fait qu'il soit parfois employé par des groupes anti-immigration lui conf[é]r[ant] toutefois une connotation raciste dans certains contextes »[6].

Définition et justification

La remigration désigne en théorie une inversion des flux migratoires, donc aussi bien un retour volontaire qu'un retour forcé des immigrants, selon Jean-Yves Camus[7], tandis que pour la directrice de l'Institute for Strategic Dialogue et la journaliste Cécile Guerin : « Concept clé de la pensée identitaire française, la remigration est un nouvel euphémisme pour un phénomène ancien, à savoir le déplacement forcé de populations entières » et une des « rhétoriques extrémistes aux implications d’épuration ethnique en Europe »[8].

La possibilité d'un déplacement massif de population est justifiée par certains militants défendant cette idée, par le fait qu'elle aurait déjà lieu lors du retour des immigrés italiens sous Mussolini[9] ou de l'exode des Pieds-Noirs[7]. Le retour pourrait être forcé ou aidé[10].

D'après Jean-Yves Camus, « le mot ne peut être compris sans référence à la théorie du « grand remplacement », élaborée par l'écrivain Renaud Camus en 2010 dans son Abécédaire de l'In-nocence »[7]. Il relève également que « le Front national (FN), du temps de Jean-Marie Le Pen, proposait déjà l'inversion des flux migratoires avec pour slogan « Quand nous arriverons, ils partiront ». Et il recueillait 19 % sur cette base, ce qui est énorme »[7].

En décembre 2017, une étude sur le complotisme — à la méthodologie contestée[11] — réalisée par la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, au moyen d'une enquête de l'Ifop, met en évidence le lien entre remigration forcée et grand remplacement chez une grande partie des sondés. Sur plusieurs opinions concernant l'immigration, figure : « c'est un projet politique de remplacement d'une civilisation par une autre organisé délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d'où elles viennent ». 48 % des personnes interrogées se disent d'accord avec cette opinion, dont 17 % « tout à fait d'accord » et 31 % « plutôt d'accord »[12].

Précédents historiques

Retour des Afro-américains en Afrique

En 1786, le Committee for the Relief of the Black Poor (comité de charité à destination des Noirs pauvres anglais) fut fondé initialement dans le but d'aider les indigents anglais d'ascendance africaine, souvent issus de la "marchandise" utilisée comme main d’œuvre sur les bateaux négriers du commerce triangulaire au siècle précédent. Progressivement, le comité orienta sa stratégie vers un plan de déplacement des Noirs dans la colonie de Sierra Leone alors nouvellement créée, afin de leur permettre d'y retrouver les "dignes" conditions de vie qu'on leur refusait dans la société conservatrice de l'époque. Granville Sharp, le premier héraut anglais de l'abolitionnisme, promut le projet comme démonstration de la capacité des Noirs à contribuer de façon productive à l'Empire. Le premier ministre William Pitt le Jeune s'impliqua activement dans le projet. Fin octobre 1786, trois bateaux furent mis à disposition pour le transport à Deptford. Cependant, sur les 700 volontaires qui avaient accepté de signé, seulement 400 embarquèrent. Les autorités londoniennes, soutenues par le comité, décidèrent de remplacer les absents par divers mendiants noirs pris au hasard dans les rues de la ville, en faisant usage de la force si nécessaire. L'activiste abolitionniste John Stuart critiqua durement ce projet coercitif. En fin de compte, 280 hommes et 110 femmes appareillèrent de Plymouth, mais la dureté des conditions de voyage provoqua la mort de 96 d'entre eux en chemin. Le gouvernement britannique poursuivra son soutien à ce déplacement de population plus ou moins volontaire qui concernera jusqu'à 4000 personnes environ, y voyant un moyen commode de réduire le nombre de pauvres de la capitale.

Parallèlement, lors de la guerre d'indépendance américaine, douze mille esclaves noirs rejoignirent le camp loyaliste en échange de leur affranchissement. Après la défaite, ils s'installèrent dans d'autres colonies britanniques en tant que citoyens libres; mais se virent octroyer des terres de moindre qualité tandis que leurs relations avec les autres colons blancs étaient souvent difficiles. En 1791, la Sierra Leone Company offrit aux mécontents la possibilité de venir dans la colonie du même nom pour y trouver de meilleurs conditions de vie. Mille deux cents vinrent alors s'installer à Freetown, avec plus de succès. S'y ajouteront plus tard en 1800 les Cimarrons de Jamaïque, qui y furent déportés depuis la Nouvelle-Ecosse à laquelle ils ne parvenaient pas à s'acclimater lorsqu'ils y avaient été installés après la guerre de 1975-1796.

Cette population de Noirs anglais donna ainsi naissance au peuple Krio.

En 1816 fut fondée l'American Colonization Society à Washington DC. Son but était de favoriser l'émigration des citoyens noirs libres hors des Etats-Unis, mais pour des motifs différents. Les soutiens esclavagistes préféraient éloigner les citoyens susceptibles d'aider leurs "congénères" esclaves à s'échapper ou monter des rébellions depuis les États abolitionnistes. Les soutiens abolitionnistes quant à eux étaient sceptiques sur l'avenir des Noirs dans la Fédération si jamais tous les esclaves étaient affranchis, à une époque où les préjugés contre les Noirs étaient répandus dans tous les États du pays. Ils pensaient donc que leur avenir serait meilleur s'ils fondaient leur propre colonie autonome en Afrique, leur continent d'origine. En 1822, l'ACS fonda la colonie du Libéria à l'Est du cap Mesurado avec trente familles de volontaires, à l'emplacement de la future capitale Monrovia, nommée en l'honneur du président de l'association James Monroe. Durant les décennies précédant la guerre civile, l'ACS reçut un certain soutien de la part de la Pennsylvanie, du Maryland et du Mississippi qui montèrent même leurs propres colonies de peuplement à côté du Liberia. Cependant, le projet ne reçut jamais les moyens pour gérer le "rapatriement" de quatre millions d'esclaves Noirs, affranchis après 1865. Les candidats à la réémigration ne dépassèrent pas la dizaine de milliers (13 000 en 1867). La société cessa ses activités en 1913 et fut formellement dissoute en 1964.


Retour des colons européens en Europe

Usage par l'extrême droite (années 2010)

En France

Le terme est utilisé à partir du début des années 2010 par la mouvance identitaire, dont le Bloc identitaire ; à titre d'exemple, le militant Laurent Ozon fonde en 2013 le « Mouvement pour la remigration »[7]. Pour Jean-Yves Le Gallou, co-fondateur de l'Institut Iliade, un organisme de formation de l'extrême droite qui publie par ailleurs du matériel de propagande, la promotion de ce mot, issu d'un glissement sémantique[8], s'inscrit dans une « bataille du vocabulaire » afin de faire progresser les positions identitaires : « Race blanche, Français de souche, grand remplacement et remigration sont les mots qu'il faut utiliser »[13],[14].

Une stratégie virale pour répandre le néologisme est adoptée par des groupuscules tels que Le Bloc identitaire ou la Dissidence française, qui utilisent abondamment les réseaux sociaux dans leur stratégie de communication[15]. Selon Mathieu Dejean des Inrocks, « cette stratégie a pour effet de leur donner parfois une grande visibilité alors qu'ils sont en réalité très peu nombreux »[15]. Selon l'Institute for Strategic Dialogue, le mot aurait fait l'objet de 500 000 tweets entre fin 2014 et début 2019, dont 10 000 émis par un seul compte appartenant à un identitaire lors du lancement de la campagne au cours du second trimestre de 2015[16].

Henry de Lesquen, « emblème des jeunes d’extrême droite sur Internet », préfère au terme de remigration celui de « réémigration »[17],[18].

En Autriche

Le terme est utilisé par le « mouvement identitaire d'Autriche » (Identitäre Bewegung Österreichs (en), IBÖ), groupuscule fondé en 2012 qui dénonce le « grand remplacement » des populations européennes et cultive les thèmes de « fermeture des frontières, culture dominante, remigration ». Les « Identitären », bien que peu nombreux, entretiennent des liens étroits avec le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ)[19].

Références

  1. Calais : une centaine de personnes au rassemblement anti-migrants, La Voix du Nord, 8 novembre 2015.
  2. a et b Définition sur English - Oxford dictionnaries
  3. (en) « Remigration definition and meaning | Collins English Dictionary », sur www.collinsdictionary.com (consulté le )
  4. C. E. J. Dolamore et Beryl T. Atkins, « Collins-Robert French-English, English-French Dictionary: Unabridged (Le Robert et Collins Dictionnaire francais-anglais, anglais-francais: Senior) », The Modern Language Review, vol. 89, no 3,‎ , p. 744 (ISSN 0026-7937, DOI 10.2307/3735161, lire en ligne, consulté le )
  5. (de) « Remigration », sur ome-lexikon.uni-oldenburg.de
  6. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada Gouvernement du Canada, « remigration [1 fiche] », sur www.btb.termiumplus.gc.ca, (consulté le )
  7. a b c d et e Annie Mathieu, « D'où vient l'expression «remigration»? », sur La Presse.ca, (consulté le ).
  8. a et b Sasha Havlicek et Cécile Guerin, « La «remigration», un concept qui essaime au-delà des identitaires », Libération (journal),
  9. « Remigration : à jeter », sur L'Humanité, (consulté le )
  10. « Au Bloc Identitaire, l'apologie de la «remigration» », sur FIGARO, (consulté le )
  11. « Est-il vrai qu'un Français sur dix croit que la Terre est plate ? », sur Libération.fr, (consulté le )
  12. Jean-Baptiste de Montvalon, « Les théories du complot bien implantées au sein de la population française », sur Le Monde, .
  13. Éric Dupin, La France identitaire : enquête sur la réaction qui vient, La Découverte, (lire en ligne).
  14. Mathilde Siraud, « Au Bloc identitaire, l'apologie de la “remigration” », sur Le Figaro.fr, (consulté le )
  15. a et b Mathieu Dejean, « Un groupuscule cible le musée de l’Histoire de l’immigration pour prôner la « remigration » », sur lesinrocks.com,
  16. Michael Weiss et Julia Ebner, « The strange tale of an unlikely racist slogan that went viral — to lethal effect », sur washingtonpost.com, The Washington Post],
  17. Vincent Matalon, « "Réémigration", négationnisme, "race congoïde"... Les mauvaises ondes d'Henry de Lesquen, le patron de Radio Courtoisie », sur francetvinfo.fr, .
  18. Xavier Ridel, « Comment Henry de Lesquen est devenu l’emblème des jeunes d’extrême droite sur internet ? », sur lesinrocks.com, .
  19. "Rüffel vom Schweigekanzler", Spiegel, 3 avril 2019.

Voir aussi

Bibliographie

  • Larry Portis, La remigration et la démocratie nord-américaine, dans Cahiers du Centre de recherches sur les littératures modernes et contemporaines, 1999, p. 115-120.
  • Stéphane de Tapia, « De l'émigration au retour : les mutations du champ migratoire turc », dans Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°52-53, 1989, Les Arabes, les Turcs et la Révolution française, p. 255-272.
  • (en) François Weil et Mark Wyman, « Round-Trip to America : The Immigrants Return to Europe, 1880-1930 », dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 51e année, n° 5, 1996, p. 1150-1151.
  • (en) Mark Wyman, Round-Trip to America: The Immigrants Return to Europe, 1880-1930, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1993.

Articles connexes

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