Blonde on Blonde

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 23 avril 2022 à 22:37 et modifiée en dernier par NapoInRags (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.
Blonde on Blonde

Album de Bob Dylan
Sortie
Enregistré 5 octobre 1965 – 10 mars 1966
Durée 71:23
Genre Rock, Blues
Producteur Bob Johnston
Label Columbia
Critique

Albums de Bob Dylan

Blonde on Blonde (1966) est le septième album de Bob Dylan, auteur-compositeur-interprète américain. C’est le premier double album de l’histoire de la musique rock.

La longueur de l'album a obligé le studio d'enregistrement à le scinder en deux 33 tours. Cet album porte la signature bien particulière du blues rock de Dylan, déjà fermement ancrée sur l'album précédent, Highway 61 Revisited. Cependant cet album propose un son plus éclectique et des paroles teintées d'encore plus de surréalisme. Il marque également la fin d'une ère pour Dylan. Après son accident de moto survenu en juillet 1966, son approche de la musique change profondément.

Enregistré à New York et Nashville, cet album fut produit par Bob Johnston. Il atteignit la 9e place du classement des albums pop du Billboard Music Charts aux États-Unis et devint double-disque de platine, tandis qu'il atteignit la 3e place des charts au Royaume-Uni. Il est classé comme le 9e meilleur album de tous les temps par VH1 et le magazine Rolling Stone.

Enregistrement

Contexte

Au festival de Newport de juillet 1965, Dylan, selon la formule consacrée, passa à l'électrique. Deux concerts devaient s'en suivre à la fin du mois d'août. Al Kooper et le bassiste Harvey Brooks, ayant déjà joué sur l'album Highway 61 Revisited, furent engagés pour ces deux concerts, mais le guitariste Mike Bloomfield et le batteur Bobby Gregg, déjà engagés sur d'autres projets, déclinèrent. Dylan les remplaça par Robbie Robertson et Levon Helm, deux membres des Hawks, groupe par la suite connu comme The Band.

Le premier concert eut lieu le 28 août à New York, au Forest Hills Stadium. La première moitié du concert vit Dylan chanter seul avec sa guitare acoustique, ce qui sembla apaiser ses fans, mais seul To Ramona, de l'album Another Side of Bob Dylan, était antérieur à 1965. Desolation Row, tiré de Highway 61 Revisited, fut joué deux jours avant sa sortie. Dylan discuta ensuite brièvement avec le groupe avant de démarrer la deuxième partie, toute électrique. Selon Brooks : « Nous avons discuté ensemble à propos de la musique et du plaisir que l'on avait pris à la jouer. Bob a dit : "...S'ils ne l'aiment pas, dommage pour eux. Ils vont devoir apprendre à l'aimer." » Exception faite de Maggie's Farm et Like a Rolling Stone, le nouveau style électrique était quasiment inconnu des spectateurs. Furent jouées quatre chansons à sortir sur Highway 61 Revisited ainsi que des versions électrifiées de It Ain't Me, Babe et I Don't Believe You. La réaction de la foule fut plutôt houleuse. L'ami de Dylan et critique musical Paul Nelson se rappelle : « Il y avait très peu de gens qui applaudissaient la partie électrique. Une femme s'est approchée et m'a dit, "Joan Baez ne se vendrait pas comme ça", et je me suis dit, "Joan Baez ? Qu'est-ce qu'elle a à vendre[3] ?" ».

Quelques jours plus tard, avant le départ pour Los Angeles, la journaliste Nora Ephron demanda à Dylan sa réponse face à la réaction des spectateurs à Forest Hills. « Je pense que c'était génial, déclara Dylan. Je le pense vraiment. Si j'avais dit ou chanté quelque chose d'autre, j'aurais été un menteur[4] ». Le 3 septembre, Dylan et le groupe jouèrent le même set au Hollywood Bowl. Les spectateurs réagirent bien mieux, et quand Levon Helm exprima son soulagement, Dylan lui répondit, « J'aurais voulu qu'ils me sifflent. Ça fait de la bonne publicité. Ca fait vendre des places[4]. »

Trois autres concerts étaient prévus dans l'automne, mais Al Kooper informa Dylan qu'il n'y participerait pas à cause de la réaction très négative du public. Puis Levon Helm, menaçant de partir lui-même, obtint de Dylan qu'il engage la totalité des Hawks. Ils répétèrent deux nuits durant avant de s'envoler pour deux concerts au Texas puis revenir à New York, au Carnegie Hall. Les trois concert furent bien accueillis, non sans quelques polémiques. Le soir du concert au Carnegie Hall, Paul Nelson se rappelle que « la plupart des journalistes du magazine Sing Out! avaient prévu de partir à l'entracte[5]. » Cependant, ajoute Helm : « Deux cents personnes se sont ruées sur la scène à la fin du concert, criant pour un rappel. Dylan rayonnait vraiment. Il marmonna : "Merci, je ne pensais pas que vous le prendriez de cette façon[5]" ».

New York

Peut-être du fait de ces derniers concerts, Dylan décida d'enregistrer avec les Hawks. Une session produite par Bob Johnston fut prévue les 5 et 6 octobre à New York, au studio A de Columbia Records. La session fut consacrée à deux chansons : Can You Please Crawl Out Your Window? et I Wanna Be Your Lover. La première était une version retravaillée d'une chanson déjà enregistrée durant les sessions de Highway 61 Revisited ; la seconde fut finalement écartée et ne sortit qu'en 1985 sur un coffret rétrospectif, Biograph.

Les concerts suivant, en octobre, s'attirèrent l'hostilité d'un public rejetant la présence de ce groupe accompagnant Dylan. Lassé, Helm préféra quitter le groupe et fut remplacé par Bobby Gregg. Même sans Helm, Dylan continuait à penser qu'il disposait d'un groupe valable pour son prochain album. Le 30 novembre, Dylan réunit dans le studio A les Hawks (sans Helm), Bobby Gregg, Bruce Langhorne à la guitare, Paul Griffin et Al Kooper aux claviers, pour enregistrer sa dernière composition, Freeze Out, réintitulée plus tard Visions of Johanna, une épopée ambitieuse et surréaliste approchant les dix minutes. Mais ce jour-là, la chanson leur échappe et Dylan s'exaspère de ne pas trouver ce qu'il cherche : « Ce n'est pas le son, ce n'est pas ça[6]. »

Dylan revint au studio A le 21 janvier 1966 pour enregistrer She's Your Lover Now avec les Hawks et Sandy Konikoff à la batterie. Malgré dix-neuf prises, la session échoua à produire une version complète de la chanson. Dylan ne tentera plus jamais de l'enregistrer, mais on peut entendre plusieurs de ces prises sur les compilations The Bootleg Series Volumes 1-3 (Rare and Unreleased) 1961-1991 et The Cutting Edge 1965-1966: The Bootleg Series, Vol.12.

Dylan commençait à perdre confiance dans les Hawks. Le 25 janvier, avec Bobby Gregg à la batterie, Rock Danko ou William E. Lee à la basse, Paul Griffin au piano, Al Kooper à l'orgue et Robbie Robertson à la guitare, Dylan travailla à deux nouveaux titres : Leopard-Skin Pill-Box Hat et One of Us Must Know (Sooner or Later). Seul le second fut finalisé pour l'album.

Une autre session fut programmée le 27, cette fois avec Robertson, Danko, Kooper et Gregg. Ils retravaillèrent sur Leopard-Skin Pill-Box Hat et One of Us Must Know sans pouvoir améliorer l'une ou l'autre. Une version de I'll Keep It With Mine fut également enregistrée durant cette session, mais ne fut pas retenue. Cet enregistrement apparaît finalement sur The Bootleg Series Volumes 1-3 (Rare and Unreleased) 1961-1991.

Le manque de matérial et les progrès trop lents en studio incitèrent Dylan à annuler les trois sessions suivantes. Quelques semaines plus tard, il confiera à son biographe Robert Shelton : « Oh, j'étais vraiment au plus mal. Je veux dire, en dix sessions d'enregistrement, mec, on n'avait pas réussi à faire une chanson. C'était le groupe. Mais tu vois, je ne le savais pas. Je ne voulais pas y croire[7]. »

Nashville

Bob Johnston, le producteur de Dylan, avait déjà travaillé aux studios Columbia de Nashville, avec la foule des musiciens aguerris vivant sur place. Durant les sessions d'enregistrement de Highway 61 Revisited, Johnston avait déjà convié l'un d'entre eux, Charlie McCoy, pour accompagner Dylan sur Desolation Row. Dès ce moment-là, Johnston avait conseillé à Dylan d'enregistrer à Nashville. « J'ai dit : "Tu devrais venir à Nashville un de ces jours. Il n'y a pas d'horaires là-bas, et ils ont vraiment tout un tas de super musiciens – tout le monde est aux petits soins" et il m'a répondu par son habituel "Hmmm"[8]. » Johnston se rappelle également l'hostilité de Albert Grossman, le manager de Dylan, et de Bill Gallagher, le président de Columbia, à ce projet : ils « sont venus me dire : "Si tu dis à Dylan quoi que ce soit à propos de Nashville, tu es viré [...] J'ai dit : "OK, c'est vous les patrons", et j'ai emmené Dylan à Nashville pour Blonde on Blonde, et il a adoré travailler là-bas[9]. »

Dylan commença à enregistrer aux Columbia's Music Row Studios de Nashville le 14 février. En plus d'Al Kooper, Dylan et Johnston firent venir Charlie McCoy (harmonica, guitare, basse), Wayne Moss (guitare), Joe South (guitare, basse) et Kenny Buttrey (batterie). McCoy se rappelle de l'arrivée de Dylan : « Ils s'étaient arrêtés à l'aéroport de Richmond et il n'avait pas pu terminer ses textes. Il nous demanda si ça nous dérangeait d'attendre une minute pendant qu'il travaillait sur une chanson. Alors nous sommes tous sortis et nous lui avons laissé le studio pour lui tout seul. Il y resta six heures à écrire. »

Trois chansons furent enregistrées lors de la première session à Nashville, dont deux très bonnes prises de Fourth Time Around et Visions of Johanna, qui furent finalement prises pour paraître sur l'album. Cependant de nouvelles tentatives d'enregistrement de Leopard-Skin Pill-Box Hat, furent une nouvelle fois jugées insatisfaisantes. (Le guitariste Jerry Kennedy et le pianiste Hargus "Pig" Robbins étaient présents lors de cette session, jouant seulement sur Leopard-Skin Pill-Box Hat.)

Le jour suivant, Dylan enregistra pendant un très long moment, toute la journée, jusqu'au lendemain matin, le 16 février. Cependant, les carnets du studio indiquent qu'aucune nouvelle chanson ne fut enregistrée avant heures du matin. C'est durant cette session que Dylan enregistra sa version épique de sa composition Sad-Eyed Lady of the Lowlands. Kenneth Buttrey se souvient : « Dylan chanta un couplet et un refrain puis s'arrêta et dit, 'On va faire un couplet puis un refrain puis je ferai mon truc à l'harmonica. Puis nous ferons un nouveau couplet et un refrain et je jouerai de nouveau de l'harmonica, et on verra ce que ça donne'… On se préparait à jouer un morceau basique de deux ou trois minutes parce que les morceaux ne dépassaient jamais les trois minutes… Si vous faites attention, ce truc, après le second refrain, commence à monter en puissance de façon insensée, tout le monde met le paquet comme pour terminer la chanson, parce que chacun se disait 'Ça y est, mec, ça va être le dernier refrain et il faut qu'on donne tout ce qu'on peut maintenant'. Et il jouait un autre morceau d'harmonica et entamait un nouveau couplet, et la tension devait de nouveau retomber pour coller avec l'ambiance du couplet. Au bout de dix minutes de ce truc, on ne savait plus où on en était, les uns par rapport aux autres, par rapport à ce qu'on faisait. Je veux dire, on avait mis toute la gomme cinq minutes durant. On faisait quoi maintenant ? » »

« [Dylan] ran down a verse and a chorus and he just quit and said, 'We'll do a verse and a chorus then I'll play my harmonica thing. Then we'll do another verse and a chorus then I'll play some more harmonica, and we'll see how it goes from there.' ... we were preparing ourselves dynamically for a basic two- to three-minute record because records just didn't go over three minutes ... If you notice that record, that thing after like the second chorus starts building and building like crazy, and everybody's just peaking it up 'cause we thought, Man, this is it ... This is gonna be the last chorus and we've gotta put everything into it we can. And he played another harmonica solo and went back down to another verse and the dynamics had to drop back down to a verse kind of feel ... After about ten minutes of this thing we're cracking up at each other, at what we were doing. I mean, we peaked five minutes ago. Where do we go from here[10]? »

Une autre session, à h du soir le 17 février fut dédiée à une autre œuvre magistrale, Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again. Une prise parfaite fut réalisée et finalement intégrée à l'album en préparation.

Dylan quitta Nashville pour jouer quelques concerts, accompagné par the Hawks, mais il revint en mars pour continuer les enregistrements aux Columbia's Music Row Studios. Cette fois-ci, il arriva prêt à enregistrer huit titres. Selon Al Kooper, Dylan aurait passé le plus clair de son temps dans sa chambre d'hôtel, retravaillant ses compositions. « Il avait un piano dans sa chambre d'hôtel et la journée je montais le voir et il m'apprenait la chanson », se souvient Kooper. « Je jouais la chanson encore et encore au piano pour lui. Cela pour une double raison. Premièrement, il pouvait se concentrer sur les paroles et ne perdait pas de temps à les jouer au piano ; deuxièmement, je pouvais aller plus tôt au studio le soir et apprendre au groupe la chanson avant qu'il n'arrive, comme ça ils pouvaient jouer le titre avant même qu'il ne passe le pas de la porte. »

« He had a piano in his room at the hotel and during the day I would go up there and he would teach me the song," recalls Kooper. "I would play the song over and over on the piano for him. This served a double purpose. One, he could concentrate on writing lyrics and didn't have to mess with playing the piano; two, I could go to the studio early that night and teach it to the band before he even got there, so they could be playing the song before he even walked through the door[11]. »

Le 8 mars, des prises parfaites de Absolutely Sweet Marie, Just Like a Woman et Pledging My Time furent enregistrées. Une dernière session d'enregistrement, qui dura toute la nuit, fut réalisée dans la nuit du 9 mars jusqu'aux premières heures du 10, amenant les prises parfaites de Most Likely You Go Your Way (And I'll Go Mine), Temporary Like Achilles, Rainy Day Women ♯12 & 35, Obviously Five Believers, I Want You, et Leopard-Skin Pill-Box Hat, et toutes furent incluses sur l'album final.

Dylan fut ravi des sessions de Nashville, et quand il supervisa les réenregistrements finaux de Blonde on Blonde en avril à Los Angeles, il avait suffisamment de matière pour un double album.

Après l'enregistrement

Après avoir remis les enregistrements finaux de l'album à Columbia Records, Dylan s'envola pour Hawaii pour le premier des nombreux concerts prévus pour une tournée de deux mois. L'album ne sortit qu'à la mi-mai 1966.

Malgré leurs performances médiocres en studio, les Hawks étaient bien meilleurs sur scène. Bien qu'un certain nombre de fans restaient déçu par la nouvelle orientation musicale de leur idole, les Hawks devinrent finalement le groupe de musiciens le plus apprécié lors des tournées de Dylan. Cette réputation fut renforcée par la tournée imminente; leur prestation est enregistrée dans l'album The Bootleg Series Vol. 4: Bob Dylan Live 1966, The "Royal Albert Hall" Concert. Après son accident de moto et son retrait du monde de la musique en juin 1966, Dylan travailla encore avec les Hawks durant l'année suivante à New York, enregistrant et interprétant d'un certain nombre de titres, que l'on retrouvera finalement sur l'album Basement Tapes.

Signification du titre

Plusieurs pistes d’explication ont été avancées pour tenter d’éclairer l’identité ou le sens de ces blondes superposées dans le titre.

Deux de ces pistes sont contemporaines de l’album et mènent à des personnalités appartenant alors à l’entourage de Dylan. À Edie Sedgwick tout d’abord, célébrité éphémère de l’underground newyorkais au milieu des années 1960, chevelure blonde sur teint pâle[12]. À Brian Jones, ensuite, et au couple blond que le fondateur des Rolling Stones formait avec l’actrice Anita Pallenberg[13].

Depuis la parution des Chroniques autobiographiques de Dylan en 2004, une autre hypothèse a pris forme : la formule Blonde on Blonde serait un hommage à Brecht on Brecht, spectacle musical mettant en scène des chansons de Bertolt Brecht auquel Dylan assista en 1963 et qui le marqua profondément[14]. Parallèlement à cette analogie, il est devenu classique de souligner que les initiales du titre reproduisent, comme un clin d’œil, le prénom de Dylan[15].

À une question posée en 1978 par le journaliste Ron Rosenbaum, Dylan répondait :

« Je me suis approché au plus près du son que j’entends dans ma tête sur certaines bandes de l’album Blonde on Blonde. C’est ce son de mercure, fin et sauvage. C’est métallique, doré et brillant, avec tout ce que ça évoque. Ce son-là, c’est le mien. Je n'ai pas réussi à l'obtenir tout le temps. J'ai surtout essayé de combiner la guitare, l'harmonica et l'orgue[16]. »

Revenant à cette citation en 2015, dans leur Bob Dylan : La Totale, Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, reformulent la problématique en ces termes : « Le choix du titre reste une énigme. Quel rapport en effet entre cette quête du son et Blonde on Blonde[17] ? » Les deux auteurs en restent là, mais leur question trouve une réponse dans un autre ouvrage français, l’essai de Jean-Michel Buizard paru en 2021, Like a Rolling Stone Revisited : Une relecture de Dylan. Selon sa conclusion, le titre se rapporte effectivement à la musique de Dylan : il désignerait deux guitares formant ensemble le cœur musical de l’album, deux guitares d’un bois clair tirant sur le beige, « blondes » selon l’usage anglo-saxon – comme la Nick Lucas Special et la Fender acoustique dont Robbie Roberston et Dylan jouent face à face dans une scène de 1966 tirée du documentaire Eat the Docucment.

« Dylan désigne-t-il pour autant la Nick Lucas Special et la Fender acoustique dans ce titre ? Ce n’est pas certain. À l’époque, Robertson jouait en concert d’une autre blonde – électrique, une Telecaster –, et l’on peut penser que cette guitare était présente lors des séances d’enregistrement de l’album. On ne sait rien, par ailleurs, de la guitare électrique que Dylan utilisa lors de ces séances. L’idée, quoiqu’il en soit, est bien là : l’album est d’abord le fruit de deux guitares d’une même couleur jouant l’une avec l’autre, ligne mélodique sur ligne rythmique, blonde on blonde[18]. »

Pochette de l'album

La couverture est une photographie légèrement floue de Bob Dylan se dépliant sur les deux pans extérieurs de la pochette. Le nom de l'artiste et le titre de l'album n'apparaissent que sur la tranche. La photo a été prise par Jerry Schatzberg[19] devant un bâtiment de briques situé près du pont de Brooklyn, dans le sud de Manhattan. On y voit Dylan portant un lourd manteau boutonné jusqu'au col, une écharpe noire et blanche à carreaux à son cou. Il apparaît avec un manteau similaire sur les pochettes des deux albums suivants, John Wesley Harding et Nashville Skyline. Dylan semble prendre un air renfrogné face à l'objectif, comme s'il demandait : vous pensez vraiment savoir qui je suis ?

L'intérieur de la pochette présentait initialement une photo de l'actrice italo-tunisienne Claudia Cardinale, utilisée sans autorisation. Certains critiques musicaux se sont demandé si cette photo ne représentait pas Dylan lui-même déguisé en femme. À partir de 1968, cette photo fut retirée de tous les albums en fabrication aux États-Unis, faisant de cette édition-à-la-photo un objet de collection. Quelques fabricants non américains continuent cependant de mettre sous presse l'album dans sa version originale, avec la photo de Cardinale.

D'autres personnes apparaissent à l'intérieur de la pochette[20] : Dylan à plusieurs reprises, son manager Albert Grossman, le photographe Jerry Schatzberg et une journaliste du nom de Sandra Suffolk. On y voit également une jeune femme non identifiée murmurant à l'oreille de Dylan. Certains fans pensèrent pour un temps que cette jeune femme était Edie Sedgwick, mais des recherches plus récentes ont suggéré qu'il s'agit plutôt d'une certaine Carole Adler.

Inspirations et analyse des chansons

Edie Sedgwick aurait inspiré l'écriture de certains titres de l'album, notamment Just Like a Woman et Leopard-Skin Pill-Box Hat. Selon les témoignages, Dylan fréquenta régulièrement la muse d'Andy Warhol vers la fin de l'année 1965, sans qu'on puisse établir si une relation a existé entre eux[21].

Sad-Eyed Lady of the Lowlands s'adresse probablement à Sara, que Dylan épousa en secret en novembre 1965. Le titre Sara, sorti en 1976 sur son album Desire, inclut les paroles "Staying up for days in The Chelsea Hotel / Writing 'Sad-Eyed Lady of the Lowlands' for you" ("Des jours entiers à rester au Chelsea Hotel, écrivant 'Sad-Eyed Lady of the Lowlands' pour toi"). À quoi s'ajoute la ressemblance phonétique entre le mot "Lowlands" et le patronyme de Sara, Lownds. En 1966, Dylan dira à Robert Shelton : "C'est la meilleure chanson que j'ai jamais écrite" ("This is the best song I've ever written.")[22]. Sad Eyed Lady of the Lowlands demeure l'une des rares chansons issues de la première période musicale de Dylan à n'avoir jamais été jouée en concert. Cependant, elle a été interprétée au moins une fois, lors d'une répétition, durant sa tournée du milieu des années 1970, le Rolling Thunder Revue Tour[23].

Rainy Day Women ♯12 & 35 ouvre Blonde on Blonde avec un air de l'Armée du Salut (« a Salvation Army style[24] »), comme Johnson le suggéra durant l'enregistrement. Wyman considère la chanson comme un hymne de drogué (« stoner anthem[25] ») à cause de son atmosphère alcoolisée de cabaret et de l'utilisation répétée des mots « stone » et « stoned » (« Weel, they'll stone you when you're trying to be so good / They'll stone you… / But I would not feel so all alone / Everybody must get stoned »). Heylin associe le titre de la chanson au Livre des Proverbes, chapitre 27, verset 15 : « A continual dropping in a very rainy day and a contentious woman are alike[24] » (« Les jours très pluvieux, l'eau qui ne cesse de tomber est comme une femme querelleuse »).

Heylin écrivit que Visions of Johanna était peut-être "son œuvre la plus parfaite. Les images utilisées dans cette chanson font sont d'une précision à en faire vibrer tout le corps, comme si le personnage principal, l'omniprésente mais physiquement absente Johanna, planait nébuleusement, hors d'atteinte".

« his most perfect composition. The song's imagery is bone-chillingly precise, even as its subject matter, the omnipresent yet physically absent Johanna, hovers nebulously out of reach. »

Tim Riley, critique du NPR écrit que : « 'Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again' est peut-être l'œuvre la plus sublime du rock, oscillant entre le décalage et l'isolement, avec cette désinvolte entreprise de démolition (Shakespeare hitting on a French girl, the preacher 'dressed / With twenty pounds of headlines / Stapled to his chest'). »

« Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again' may be rock's grandest costume piece, balancing displacement and alienation with the offhand hatchet job[26]. »

Le journaliste du Saturday Evening Post, Jules Siegel, qui voyageait avec Dylan pour réaliser sa biographie, se trouvait dans sa chambre d'hôtel à Vancouver quand Albert Grossman lui apporta un premier pressage de Blonde on Blonde. Selon Siegel, après avoir passé Sad-Eyed Lady of the Lowlands, Dylan s'exclama : « Ça c'est de la musique religieuse ! C'est de la musique religieuse de carnaval. J'ai réussi à trouver le vrai son des carnavals religieux d'antan, n'est-ce pas ? » (« Now that is religious music! That is religious carnival music. I just got that real old-time religious carnival sound there, didn't I?)[27] »

Réception et Postérité

Sorti à l’été 1966, Blonde on Blonde rencontra le succès, atteignant le Top 10 des albums aux Etats-Unis et en Angleterre, et plaçant plusieurs de ses titres en haut des classements de singles. L’album fut également bien accueilli par la critique. Dès juillet 1966, le magazine Crawdaddy! lui rendait hommage et l’inscrivait déjà dans le temps :

« C'est une cachette à émotions, un paquet bien ficelé d'excellente musique et de poésie meilleure encore, tissées l’une à l’autre et prêtes à faire partie de votre réalité. Voici un homme qui vous parlera, un barde des années 1960 avec sa lyre électrique et ses diapositives en couleur, mais un homme véridique avec des yeux à rayons X par lesquels vous pouvez regarder si vous le souhaitez. Tout ce que vous avez à faire est d'écouter[28]. »

Avec les années, l’album n’a cessé de gagner en aura. Il est à présent perçu comme le parfait aboutissement de ce fameux tryptique débuté en 1965 avec les albums Bringing It All Back Home puis Highway 61 Revisited, ayant amené à Dylan à transformer sa musique et, avec elle, l’histoire de la musique rock. Greil Marcus, avec ce sens de l’image qui le caractérise, écrira :

« Le voyage achevé – sinon terminé – le roi du rock a pris du recul et offert un blues de dandy, vif, très chargé, insulaire, destructeur, tentant : le son d'un homme essayant de se tenir debout sur un bateau ivre, et qui pour un moment y parvient. Son ton est acerbe, apeuré, menaçant, comme s'il se réveillait et comprenait qu'après avoir payé toutes ses dettes, la situation n'est toujours pas résolue[29]. »

Parmi les éloges, Riley verra dans Blonde on Blonde « une abstraction tentaculaire au service d'un révisionnisme excentrique du blues, confirmant la stature de Dylan comme la plus grande présence du rock américain depuis Elvis Presley[30] » ; Shelton « un mariage remarquable entre un expressionnisme rock à la fois funky et bluesy, et une vision rimbaldienne de la discontinuité, du chaos, du vide, de la perte et de l'enlisement[31] » ; et pour le critique Bill Wyman, le chant de Dylan d'un bout à l'autre de l'album « est à lui seul un catalogue des émotions humaines, à l'exception peut-être de la pitié. L'une des grandes joies de l'ère du CD est d'écouter ce récit épique sans interruption du début à la fin[25]. »

L’album s’est régulièrement hissé en haut du classement des meilleurs albums de tous les temps. En 1974, les journalistes de NME le placent en seconde position. En 1995, il est 8e dans un sondage réalisé par le magazine Mojo. En 1997, il est 16e du sondage « Music of the Millennium » organisé par un panel de médias anglais[32]. Il se classe en 9e position des classements 2003 et 2012 des 500 plus grands albums de tous les temps[33] du magazine Rolling Stone. En 2006, Time introduit l'album dans son classement des 100 meilleurs albums de tous les temps[34]. Sur le site Acclaimedmusic.net, il apparaît 9e de la liste des albums les plus aimés de la critique, toute époque confondue[35].

Interrogée en 2016, lors de l’annonce du Prix Nobel de Littérature décerné à Bob Dylan, sur la meilleure manière d’explorer l'œuvre de ce dernier, Sara Danius, Secrétaire de l’Académie de Suède conseilla d’écouter, ou lire, Blonde on Blonde : « C’est un exemple extraordinaire de son talent pour rimer et allier les refrains à sa pensée picturale[36]. »

Liste des titres

Toutes les chansons sont écrites et composées par Bob Dylan.

Face C
NoTitreDurée
9.Most Likely You Go Your Way (And I'll Go Mine) (en)3:30
10.Temporary Like Achilles5:02
11.Absolutely Sweet Marie4:57
12.4th Time Around (en)4:35
13.Obviously 5 Believers3:35
Face D
NoTitreDurée
14.Sad Eyed Lady of the Lowlands11:23

Crédits

Musiciens

  • Bob Dylan - Guitare, Harmonica, Piano, Clavier, Chant
  • Al Kooper – Orgue, Clavier
  • Robbie Robertson – Guitare, Chant
  • Joe South - Guitare
  • Rick Danko – Guitare basse, Violon, Chant
  • Bill Atkins - Clavier
  • Wayne Butler - Trombone
  • Kenny Buttrey - Batterie
  • Paul Griffin - Piano
  • Garth Hudson – Clavier, Saxophone
  • Jerry Kennedy - Guitare
  • Sanford Konikoff - Batterie
  • Richard Manuel – Batterie, Clavier, Chant
  • Wayne Moss - Guitare, Chant
  • Hargus "Pig" Robbins - Piano, Clavier
  • Henry Strzelecki – Guitare basse
  • Charlie McCoy – Guitare basse, Guitare, Harmonica, Trompette

Production

  • Bob Johnston - Producteur
  • Amy Herot – Producteur réédition
  • Mark Wilder – Re-mixing, Re-mastering

Notes

  1. « La musique prend une véritable grandeur », Mojo, octobre 2003, pp.124-6.
  2. « Sans doute l'album le plus mélodique de Dylan, une course folle d'idées portées par ce qu'il appellera plus tard "ce son fin et sauvage de mercure". Mélodies, mélodies, mélodies, Dylan le compositeur n'a jamais eu de meilleurs jours que ceux-ci. », Q, janvier 2000, p.136.
  3. Heylin 2011, p. 227.
  4. a et b Heylin 2011, p. 228.
  5. a et b Heylin 2011, p. 235.
  6. Sean Wilentz, Mystics Nights. In Wilentz 2010, p. 111.
  7. Shelton 2011, p. 248.
  8. Interview avec Richard Younger, magazine On the Tracks, n°20.
  9. Interview avec Dan Daley
  10. Heylin 2011, p. 241.
  11. Heylin 2011, p. 242.
  12. L’hypothèse a été relayée par Patti Smith, dans le poème qu’elle dédia à la mémoire de Sedgwick en 1972 : « Tout le monde savait qu’elle était la véritable héroïne de Blonde on Blonde. Oh, ce n’est pas juste. Oh, ce n’est pas juste. La manière dont sa chevelure d’hermine égarait les hommes. Elle était blanc sur blanc, si blonde on blonde ». (« edie sedgwick (1943-1971) », Smith 1972)
  13. « Les deux, Brian et Anita, se ressemblaient même, après qu’elle eut teint leurs cheveux déjà blonds en une couleur plus claire encore. Ils étaient un couple de jumeaux incestueux, incroyablement glamour. » (Davis 2001, p. 147).
  14. Dylan 2005, p. 272-276.
  15. Oliver Trager, par exemple, dès 2004 à propos de l'album : « Son titre est, à tout le moins, un riff sur Brecht on Brecht de Bertolt Brecht, une touche plutôt littéraire pour le rock'n'roll à l'époque. Et n'oublions pas que les premières lettres de chaque mot dans le titre épèlent le mot BOB. »(Trager 2004, p. 52).
  16. Interview avec Ron Rosembaum,Payboy Magazine, mars 1978. In Cott 2006, p. 204
  17. Margotin et Guesdon 2015, p. 212.
  18. Buizard 2021, p. 165-166.
  19. Jerry Schatzberg
  20. On peut se reporter à cette page web très complète : The Blonde On Blonde Missing Pictures
  21. Biograpphie d'Edie Sedgwick. Ouvrage référence en la matière : Edie: American Girl, Stein 1994.
  22. Shelton 2011, p. 249.
  23. Trager 2004.
  24. a et b Heylin 2010, p. 378.
  25. a et b Bill Wyman, « Bob Dylan »
  26. Riley 1999, p. 128-130.
  27. Heylin 2011, p. 243.
  28. Williams, Paul. "Tom Paine Himself: Understanding Dylan", Crawdaddy!, July 1966. In Williams 2000, p. 33.
  29. Marcus 2007, p. 291.
  30. Riley 1999, p. 128-30.
  31. Shelton 2011, p. 224.
  32. HMV, Channel 4, The Guardian et Classic FM.
  33. 500 Greatest Albums of All Time: Blonde on Blonde
  34. The All-TIME 100 Albums
  35. « Acclaimed Music »
  36. Prix Nobel Littérature 2016

Références

  • Jean-Michel Buizard, Like a Rolling Stone Revisited : Une relecture de Dylan, Camion Blanc, .
  • (en) Jonathan Cott, Dylan on Dylan: The Essential Interviews, Hodder & Stoughton, .
  • (en) Stephen Davis, Old Gods Almost Dead: The 40-Year Odyssey of the Rolling Stones, Broadway Books, .
  • (en) Bob Dylan, Chronicles: Volume One (2004), Simon & Schuster, .
  • (en) Clinton Heylin, Revolution in the Air: The Songs of Bob Dylan, vol. 1: 1957-73 (2009), Constable & Robinson, .
  • (en) Clinton Heylin, Behind the Shades: The 20th Anniversary Edition, Faber & Faber, .
  • (en) Greil Marcus, Stranded: Rock and Roll for a Desert Island (1979), Da Capo Press, .
  • Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, Bob Dylan : La Totale, Éditions du Chêne, coll. « E/P/A », .
  • (en) D.A. Pennebaker, Eat the Docucment (film), .
  • (en) Tim Riley, Hard Rain: A Dylan Commentary, Da Capo Press, .
  • (en) Robert Shelton, No Direction Home: The Life and Music of Bob Dylan (1986), Omnibus Press, .
  • (en) Patti Smith, Seventh Heaven, Telegraph Books, .
  • (en) Jean Stein, Edie: American Girl (1982), Grove Press, .
  • (en) Oliver Trager, Keys to the Rain: The Definitive Bob Dylan Encyclopedia, Billboard Books, .
  • (en) Sean Wilentz, Bob Dylan in America, Doubleday, .
  • (en) Paul Williams, Outlaw Blues: A Book of Rock Music, Entwhistle Books, .