Amnésie écologique

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L'amnésie écologique (parfois nommée amnésie générationnelle ou amnésie environnementale) est un concept développé en biologie de la conservation stipulant que chaque génération considère comme le point de référence initial d'un écosystème celui qu'il a connu depuis sa naissance, engendrant un syndrome de la référence changeante (en). Cela conduit généralement à une anthropisation et une perte de biodiversité de plus en plus importante, la nouvelle génération prenant appui sur l'état « dégradé » qu'elle a toujours connu.

Définition et causes

En période de crise environnementale complexe, la notion d'amnésie écologique ou « shifting baseline syndrome » est un des concepts qui permet d'appréhender la relation entre les êtres humains et la nature. Ce phénomène a été étudié et conceptualisé dans les années 1990 par des chercheurs tels que Daniel Pauly et Peter H. Kahn[1]. Ce phénomène met en évidence la tendance à ajuster la perception de l'environnement en fonction des expériences personnelles, ce qui entraîne une perte de la mémoire collective des écosystèmes. En d'autres termes, l'oubli des conditions environnementales passées amène à normaliser des niveaux dégradés de l'environnement[1].

Par son concept d' « extinction de l'expérience de la nature », Robert Pyle insiste sur l'importance de maintenir un lien actif avec la nature pour préserver notre capacité à la comprendre et à l'apprécier [1]. Il affirme que c'est la baisse des interactions entre les humains et la nature qui alimente et participe au déclin de la biodiversité dans les espaces de vie. Des travaux permettent de mieux comprendre l'évolution des perceptions de la nature à travers les générations tels que celui réalisé par Anne-Caroline Prévot, directrice de recherches au CNRS, chercheuse au Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation et au Muséum national d'histoire naturelle[2].

Conséquences

Daniel Pauly souligne que chaque génération perçoit comme standard ce qui est, en réalité, une réduction de la richesse environnementale, conduisant à ne conserver que « de misérables restes »[3]. En oubliant les écosystèmes passés et en minimisant les changements environnementaux, les dommages causés à la biodiversité et aux ressources naturelles sont sous-estimés. Cette sous-estimation peut mener à une indifférence généralisée et à une résignation face aux questions environnementales[4].

Exemples symboliques

  • Les zones de distribution de plusieurs espèces ont bougé avec le temps, notamment en raison des pressions anthropiques. Ainsi, durant l'Antiquité, des lions étaient présents en Grèce, ainsi que des loups en France et en Espagne. Ces présences animales sont parfois considérées comme « artificielles » à notre époque[5],[6].
  • Les jeunes générations qui n'ont connu que des étés caniculaires estiment que ces derniers sont normaux, alors qu'il s'agit d'un phénomène récent[7].
  • Le travail de Jeremy Jackson, professeur à l'Institut Scripps d'Océanographie et à la Smithsonian Institution. Dans l'un de ses travaux, il démontre que la surpêche antérieure a affecté l'équilibre écologique des récifs coralliens de Discovery Bay en Jamaïque. Il met en exergue la différence entre notre vision actuelle et la réalité historique des écosystèmes marins[8].
  • Anne-Caroline Prévot analyse la manière dont les paysages extérieurs sont représentés dans les films d'animation Walt Disney. Paris est par exemple plus verdoyante dans le film Les Aristochats réalisé en 1970 que dans le film Le Bossu de Notre-Dame réalisé en 1996. Ainsi, cette étude montre qu'en quelques décennies, la manière de percevoir et d'expérimenter la nature change et évolue[2].

Les facteurs

Les expériences de la nature peuvent se traduire par des chocs historiques notamment liés à la perte de biodiversité et plusieurs exemples les illustrent, notamment la disparition d’animaux présent autrefois en Europe, notamment le Loup Gris (Canis lupus). En raison de la chasse intensive et la destruction de son habitat naturel au début du 20ème siècle, ce dernier a été exterminé de son Aire de répartition.

Au bord de l'océan Atlantique, c'est L'Ours blanc qui est en voie de disparition. L'espèce est considéré comme vulnérable en raison du réchauffement climatique et du bouleversement de son habitat.[9]

Sur le territoire français, de nombreux Oiseaux nicheurs sont menacés de disparition, soit 32 %.Ces pertes de biodiversités sont dues à des facteurs historiques qui relèvent de l’urbanisation et de l’industrialisation lors du début de l’ère industrielle vers 1500. Ces derniers ont menés à une transformation des paysages naturels en des espaces industriel et urbains.

Urbanisation

L'urbanisation est un des facteurs clés concernant l'amnésie écologique en raison de sa contribution aux transformations des zones naturels en espaces artificiels. L'artificialisation des lieux naturels réduit la biodiversité et réduit également l'opportunité aux populations urbaines d'avoir un échange avec la nature.[1]

Il existe plusieurs exemples concrets qui illustrent ces modifications ; comme le fait de pouvoir traverser des nuages d'insectes en voiture qui aujourd'hui, est considéré comme étant une expérience devenue rare.[2]

Les nouvelles générations ignorent qu’avant ces zones d’industrialisations et d’urbanisations se trouvait des espaces naturelles. C’est par exemple le cas de la ZAC des Tulipes en Gonesse, qui autrefois était habitées de multitudes de tulipes avant d'être remplacé par des bureaux et de bâtiments de logistiques.[10]

Il en est de même dans les territoires autrefois dédiés à l'agriculture pour la culture de rose à Fontenay-aux-Roses, de pêches à Montreuil et d'ananas dans les serre du château de Choisy-le Roi. Ils ont été progressivement urbanisés au cours des siècles passés. Cette urbanisation rapide a entraîné la disparition de vastes étendues de terres agricoles et naturelles. En conséquence, les habitants ont perdu la mémoire collective de ces paysages ruraux et de l'activité agricole qui y était associée[11].

Industrialisation

L'industrialisation rapide au XIXe siècle a entraîné un changement sur les espaces naturels, caractérisé par les tailles élevés de firmes les productions en masse, le développement des réseaux et des technologies[12].Elle renforce cette vision en transformant la nature a l'avantage du développement économique emmenant ainsi à la dégradation de l'environnement. C’est dans la zone industrialo-portuaire de Marseille que témoigne l’amnésie écologique. Autrefois, un littoral méditerranéen couvrait les zones humides mais aussi des pinèdes, des calanques et une richesse de biodiversité terrestre et marine.[13]

Chaque nouvelle génération se voit appauvri par l’urbanisation et l'industrialisation, prenant ainsi cela comme une norme et ignorant l’antérieure de la nature. On appelle ceci "Shifting Baseline"[14] (le syndrome de la référence changeante), expliqué par D.Pauly.

Perception occidentale de la nature

Les sociétés occidentales sont influencées par l’idée de dominer la nature pour le profit de l'humanité, voyant la nature comment étant une ressource a exploiter. Mais également entraînées par l’évolution technologique, et par la croissance [3]. La nature est perçue comme étant une ressource économique, avec la croissance du capitalisme, c'est en premier lieu la garantie de l'exploitation du développement économique sans prêter attention à la préservation de l'éco système.[15]

L’écart de communication entre les générations

Dans le domaine de l'ethnobotanique, qui porte sur l'évolution des données sur les ressources végétales ou la végétation[16], il peut y avoir une perte de savoir et de compétences accolé aux pratiques traditionnelles. En effet ; le fait que les pratiques liées a ces plantes soient transmises de génération en génération ainsi que les nouvelles conditions environnementales, peut entraîner une perte de connaissances et de compétences aux plantes.[17]

Cette rupture de savoirs peut entraîner une déconnexion avec la perception que nous avons avec la nature et ainsi une perte de connaissance de l’état antérieur de l’environnement.


Remèdes à l'amnésie écologique

Graphique représentant le concept d'amnésie écologique.

L'importance de l'éducation et de la sensibilisation

L'éducation et la sensibilisation à l'environnement dès le plus jeune âge sont des outils essentiels pour lutter contre l'amnésie écologique[18]. En apprenant aux enfants à observer, comprendre et apprécier la nature, on les aide à construire une relation durable avec elle. Cela peut passer par des sorties en forêt, des ateliers de jardinage, des jeux éducatifs, etc.[1].

Il est peut être important de sensibiliser les adultes à l'impact de leurs actions sur l'environnement. Les médias, les associations et les institutions peuvent avoir un rôle à jouer dans ce domaine[1].

Reconnecter avec la nature par l'expérience directe

L'expérience directe de la nature est un moyen particulièrement mis en avant afin de contrer l'amnésie écologique. En passant du temps dans la nature, on peut observer les changements qui s'y produisent et prendre conscience de sa fragilité.[19]

De nombreuses activités respectant l'environnement permettent de se reconnecter à la nature: la randonnée, le camping, le jardinage, l'observation des oiseaux, etc.[20] C'est à travers ces observations régulières que nous prenons conscience de la fragilité de notre environnement et de l'impact de nos actions sur celui-ci.[1][pas clair]

S'engager pour la protection de l'environnement

S'engager pour la protection de l'environnement est un excellent moyen de lutter contre l'amnésie écologique. En participant à des actions concrètes, on peut contribuer à préserver la nature et à sensibiliser les autres à son importance.[21]

Il existe de nombreuses associations et initiatives qui œuvrent pour la protection de l'environnement. Chacun peut trouver un moyen de s'engager à son niveau, en fonction de ses intérêts et de ses disponibilités.

Le rôle des arts

Comme le suggère Daniel Pauly, les arts et les nouvelles technologies peuvent également jouer un rôle important dans la lutte contre l'amnésie écologique: des films, œuvres d'art et simulations permettent de visualiser un état antérieur d'un écosystème donné, inapparent actuellement[22].

Notes et références

  1. a b c d e et f Anne-Caroline Prévot et Cynthia Fleury, Le souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner., Paris, CNRS Editions, , 378 p. (ISBN 978-2-271-08817-8), p. 14-16
  2. a et b Anne-Caroline Prévot, « Crise écologique et quasi indifférence : sommes-nous amnésiques ? » Accès libre [podcast], sur France Culture,
  3. (en) Daniel Pauly, « The ocean's shifting baseline » Accès libre [vidéo], sur TED Talks,
  4. Hortense Chauvin, « L'amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde » Accès libre [article], sur Reporterre,
  5. Léa Rollin, « Sur la trace des lions grecs » Accès libre [article], sur Grèce Hebdo,
  6. (en) M. Clavero, « Where wolves were: setting historical baselines for wolf recovery in Spain » Accès libre [article], sur Zoological Society of London,
  7. Karine Durand, « Qu'est-ce que l'amnésie écologique et comment la combattre ? » Accès libre [article], sur Futura Science,
  8. Alice Bomboy, « A la recherche de l'abondance perdue de nos océans » Accès libre [article], sur Mediapart,
  9. « Ours blanc », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  10. Reporterre, « L'amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde », sur Reporterre, le média de l'écologie - Indépendant et en accès libre (consulté le )
  11. Reporterre, « L'amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde », sur Reporterre, le média de l'écologie - Indépendant et en accès libre (consulté le )
  12. Jacques Brasseul, « Chapitre 4 - L’industrialisation dans le monde au xixe siècle », dans Petite histoire des faits économiques et sociaux, vol. 3e éd., Armand Colin, coll. « Collection U », , 121–163 p. (ISBN 978-2-200-28508-1, lire en ligne)
  13. Reporterre, « L'amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde », sur Reporterre, le média de l'écologie - Indépendant et en accès libre (consulté le )
  14. (en) « Shifting baseline », dans Wikipedia, (lire en ligne)
  15. Andrew Feenberg, « L'anthropologie et la question de la Nature. Réflexions sur L'Écologie des autres, de Philippe Descola », Revue du MAUSS, vol. 42, no 2,‎ , p. 105–118 (ISSN 1247-4819, DOI 10.3917/rdm.042.0105, lire en ligne, consulté le )
  16. Natalia Hanazaki, Dannieli Firme Herbst, Mel Simionato Marques et Ina Vandebroek, « Evidence of the shifting baseline syndrome in ethnobotanical research », Journal of Ethnobiology and Ethnomedicine, vol. 9, no 1,‎ , p. 75 (ISSN 1746-4269, PMID 24229063, PMCID PMC3842669, DOI 10.1186/1746-4269-9-75, lire en ligne, consulté le )
  17. Natalia Hanazaki, Dannieli Firme Herbst, Mel Simionato Marques et Ina Vandebroek, « Evidence of the shifting baseline syndrome in ethnobotanical research », Journal of Ethnobiology and Ethnomedicine, vol. 9, no 1,‎ , p. 75 (ISSN 1746-4269, PMID 24229063, PMCID PMC3842669, DOI 10.1186/1746-4269-9-75, lire en ligne, consulté le )
  18. Karine Durand, « Qu'est-ce que l'amnésie écologique et comment la combattre ? », sur Futura (consulté le )
  19. Philippe J. Dubois, La grande amnésie écologique, Delachaux et Niestlé, (ISBN 978-2-603-01775-3)
  20. Karine Durand, « Qu'est-ce que l'amnésie écologique et comment la combattre ? », sur Futura (consulté le )
  21. Hortense Chauvin, « L’amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde », quotidien,‎ 18 juillet 2020 à 10h14 (lire en ligne)
  22. (en) Daniel Pauly: The ocean's shifting baseline Consulté le .

Voir Aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes