Aller au contenu

Émeutes de 2024 en Nouvelle-Calédonie

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 15 mai 2024 à 21:26 et modifiée en dernier par Necrid Master (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.

Émeutes de 2024 en Nouvelle-Calédonie
Type Violences urbaines, émeutes, révoltes
Pays Drapeau de la France France
Localisation Drapeaux de la Nouvelle-Calédonie Nouvelle-Calédonie
Coordonnées 22° 16′ 04″ sud, 166° 26′ 37″ est
Cause Loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral spécifique aux élections provinciales de Nouvelle-Calédonie (LCP)
Date Depuis le
(27 jours)
Participant(s) Front de libération nationale kanak et socialiste

1800 gendarmes
7 escadrons de gendarmerie mobile
15 hommes du GIGN
Policiers du RAID
2 sections de la CRS 8[1]
Bilan
Blessés 300
Morts 4[2] (dont 1 gendarme)[3]
Répression
Arrestations 140

Géolocalisation sur la carte : Nouvelle-Calédonie
(Voir situation sur carte : Nouvelle-Calédonie)
Émeutes de 2024 en Nouvelle-Calédonie

Les émeutes de 2024 en Nouvelle-Calédonie sont des émeutes en cours depuis le en Nouvelle-Calédonie, à la suite d'un projet de révision constitutionnelle visant à mettre partiellement fin au gel du corps électoral habilité à voter aux élections provinciales.

Les émeutiers causent d'importants dégâts aux infrastructures et commerces de l'archipel, tandis que des affrontements avec les forces de l'ordre ainsi qu'entre civils font plusieurs centaines de blessés et un total de quatre morts.

L'ampleur des émeutes amène le président Emmanuel Macron à décréter l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie à partir du 16 mai à h (heure locale). 45 minutes plus tard, le premier ministre Gabriel Attal annonce le déploiement de l'armée pour la sécurisation des ports et des aéroports de Nouvelle-Calédonie. Il annonce également l'interdiction du réseau social TikTok dans l'archipel.[4]

Contexte

Corps électoral « gelé »

Les élections provinciales néo-calédoniennes ont lieu dans le cadre d'un « gel » du corps électoral autorisé à participer à ces scrutins. Contrairement aux élections présidentielles et législatives auxquelles peuvent participer tous les citoyens français majeurs, seule peut participer aux élections provinciales une partie de la population. En vertu de l'accord de Nouméa de 1998 et de l'article 188 de la loi organique de 1999, sont ainsi électeurs les individus disposant de la citoyenneté néo-calédonienne, résidant en Nouvelle-Calédonie avant 1998, ainsi que leur descendants, à la condition de résider préalablement pendant dix années consécutives sur le territoire[5],[6].

Considérant que ces dispositions portent atteinte à l'exercice du droit de vote, le Conseil constitutionnel annule en 1999 le gel du corps électoral en limitant ces conditions à la présence continue pendant dix ans. Cette décision, qui remplace le corps électoral « figé » ou « gelé » par un corps électoral « glissant », provoque une vive opposition de la part des indépendantistes. En visite dans l'archipel en 2003, le président Jacques Chirac s'engage à revenir sur cette décision, ce qui est fait par le vote de la loi constitutionnelle no 2007-237 du [5],[7]. Cette dernière réintroduit le gel du corps électoral en l'inscrivant directement dans la constitution[6].

Depuis la réinstauration du gel, la population néo-calédonienne exclue du vote aux élections provinciales n'a cessée de croitre. Les exclus passent ainsi d'environ 8 000 en 1999, à 18 000 en 2009, puis 42 000 en 2023. À cette date, le corps électoral gelé était constitué d'environ 178 000 électeurs sur les 220 000 constituant le corps électoral « général » pouvant voter aux élections nationales, ce qui équivaut à l'exclusion d'environ 19 % de la population en âge de voter, soit un électeur sur cinq[6].

Par la suite, cette situation a été validée, à titre uniquement temporaire, par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel ainsi que la Cour européenne des droits de l'Homme, dans la mesure où celle-ci s'inscrivait dans un « processus de décolonisation » et « sous réserve qu’il soit bien transitoire »[6].

Situation en 2024

À la suite de la majorité de suffrages exprimés en faveurs du « Non » lors des trois référendums d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 2018, 2020 et 2021, cette spécificité de l'Accord de Nouméa atteint son terme. Il s'ensuit une période de « flottement » quant à l'avenir institutionnel de l'archipel, au cours de laquelle les indépendantistes appellent à la tenue d'un nouveau référendum en lieu et place du troisième, dont ils refusent de reconnaître le résultat en raison de leur boycott du scrutin. Quand aux loyalistes, ils réclament au contraire le « dégel » du corps électoral : en effet, ils considèrent que les dispositions de l'Accord de Nouméa sont désormais caduques, la population ayant par trois fois choisi de demeurer au sein de la République française. Cette situation de blocage se poursuit jusqu'en 2024, empêchant la conclusion d'un accord local, tandis que s'approchent les élections provinciales. Censées être organisées cette même année, les élections font l'objet d'un report au 15 décembre 2024 afin de laisser davantage de temps aux parties en présence pour négocier[6].

Donnant son avis sur la situation le , le Conseil d’État conclut que « Les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du Congrès dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. »[6].

Projet de révision constitutionnelle

Le gouvernement du président Emmanuel Macron entame finalement en janvier 2024 un processus de révision constitutionnel visant à dégeler le corps électoral. Le projet prévoit un retour à un corps électoral « glissant » en accordant le droit de vote aux électeurs déjà inscrits sur la liste générale qui justifient d'une domiciliation d'au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie, ou qui y sont nés. Une telle modification conduirait à l'incorporation d'environ 25 000 nouveaux électeurs[6],[8].

Le passage du projet de révision au Sénat conduit à l'ajout d'une clause laissant ouverte le plus longtemps possible la poursuite des négociations sur l'archipel. La où le projet initial de l'Assemblée nationale prévoyait une application le faute d'accord, le texte remanié permet ainsi la suspension de la révision constitutionnelle si un accord local est signé au plus tard 10 jours avant la tenue des élections provinciales, soit — sauf report — le [9].

Le projet est examiné en mai 2024[10]. Le Front de libération nationale kanak et socialiste critique une « énième tentative de passage en force » du gouvernement, affirmant que la France cherche à « constitutionnaliser la colonisation en Kanaky »[11]. La Cellule de coordination des actions de terrain, proche du parti indépendantiste Union calédonienne, organise des marches[12]. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie demande le retrait de la réforme tandis que Sonia Backès, représentant la droite loyaliste, accuse le Congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d'être illégitimes[11].

Retourné à l'Assemblée nationale après son passage au Sénat, le texte est adopté le 15 mai par 351 voix pour et 153 contre[9]. Comme tout projet de révision de la Constitution par voie parlementaire, il doit ensuite être voté à la majorité qualifiée des membres du Parlement réunis en Congrès.

Déroulement

Le , des violences éclatent à Nouméa tandis que les députés débattent de l'adoption de la loi. Les affrontements opposent les forces de maintien de l'ordre à des manifestants indépendantistes, causant des incendies, des pillages et des blessés parmi les gendarmes. Trois employés pénitentiaires sont brièvement pris en otage lors d'une tentative de mutinerie dans le centre pénitentiaire de Nouméa. Les écoles et les services publics des zones concernés sont fermés. Le haut-commissaire français demande des renforts de Paris pour maintenir l'ordre et annonce une interdiction de port et de transport d'armes ainsi qu'une interdiction de vente d'alcool pendant 48 heures[13],[12]. Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, rapporte « des tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse, sur les gendarmes » dans la nuit du 13 au , dans la commune du Mont-Dore, au sud-est de Nouméa[14].

Un couvre-feu est instauré de la nuit du mardi au mercredi[15] en vue de réduire les violences urbaines ; ce couvre-feu n'est pas respecté. Au matin du mercredi 15 mai, le bilan s'est gravement alourdi avec la mort de deux personnes dans la nuit, la première aurait été tuée par un tir « de quelqu’un qui a certainement voulu se défendre », les circonstances du second décès restent floues[16]. Les émeutes violentes se poursuivent le 14 mai et amènent à des affrontements armés. Trois personnes meurent et 300 personnes sont blessées, dont certaines par balles. 140 personnes sont arrêtées. Plus de 70 policiers et gendarmes sont blessés, tandis qu'environ 80 entreprises sont brulées ou détruites[17]. Certains habitants érigent des barricades afin de protéger leurs biens et les émeutes entrainent des pénuries alimentaires. Le haut-commissaire décrit une situation « insurrectionnelle » et prévient un risque de « guerre civile ». Emmanuel Macron appelle au calme et prévoit une réunion du Congrès pour entériner la réforme, sauf si un accord plus large est trouvé entre indépendantistes et anti-indépendantistes d'ici juin[18],[19],[20].

Un gendarme mobile âgé de 22 ans, déployé lors des émeutes, est grièvement blessé par balle mardi 14 mai 2024. Il succombe à ses blessures dans la nuit du mardi au mercredi 15 mai 2024[21].

Un conseil de défense est tenu par Emmanuel Macron le , à l'issue duquel un décret visant à déclarer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie est demandé par le président de la République et mis à l'ordre du jour du Conseil des ministres[22]. L'état d'urgence entre en vigueur le 15 mai à 18 heures GMT, soit 20 heures à Paris et h à Nouméa le 16 mai[23],[24]. Un couvre-feu est instauré sur l'archipel de 18 heures du soir à 6 heures du matin, les rassemblements sont interdits sur l'agglomération du grand Nouméa, de même que le transport et le port d'armes ainsi que la vente d'alcool sur l'ensemble du territoire[25].

45 minutes après l'annonce présidentielle, le premier ministre Gabriel Attal annonce le déploiement de l'armée afin d'assurer la sécurisation des ports et des aéroports, ainsi que l'interdiction du réseau social TikTok dans l'archipel[26].

Voir aussi

Notes et références

  1. « Nouvelle-Calédonie : les gendarmes engagés sur les émeutes », sur gendarmerie.interieur.gouv.fr (consulté le ).
  2. « Émeutes en Nouvelle-Calédonie : le gendarme blessé est décédé portant le bilan à quatre morts, l’état d’urgence bientôt déclaré », sur SudOuest.fr (consulté le ).
  3. « Émeutes en Nouvelle-Calédonie : le gendarme grièvement blessé est mort, Emmanuel Macron veut déclarer l’état d’urgence », sur ladepeche.fr (consulté le ).
  4. « Émeutes en Nouvelle-Calédonie : TikTok interdit dans l'archipel, l'armée déployée dans les ports et aéroports », sur actu.fr (consulté le ).
  5. a et b « Nouvelle-Calédonie  : la controverse sur le gel du corps électoral continue », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  6. a b c d e f et g « Dégel du corps électoral calédonien : 12 clés pour comprendre le projet de loi constitutionnelle », sur Nouvelle-Calédonie la 1ère (consulté le ).
  7. « Révisions constitutionnelles de février 2007 », sur Conseil constitutionnel (consulté le ).
  8. Rose Amélie Becel, « Nouvelle-Calédonie : un projet de loi constitutionnelle pour élargir le corps électoral prévu au Sénat en mars », sur Public Sénat, (consulté le )
  9. a et b « Nouvelle-Calédonie: l'Assemblée nationale adopte le projet de révision constitutionnelle », sur BFMTV (consulté le ).
  10. Victor Boiteau, « L’Assemblée s’empare du dossier de la Nouvelle-Calédonie : «On marche sur des œufs et ces œufs sont fêlés» » Accès payant, sur Libération, (consulté le )
  11. a et b Benjamin König, « Kanaky-Nouvelle-Calédonie : pourquoi le dégel du corps électoral pourrait mettre le feu aux poudres » Accès payant, sur L'Humanité, (consulté le )
  12. a et b (en) Patrick Decloitre, « Attempted prison mutiny, demonstrations ahead of New Caledonia constitution vote » Accès libre, sur Radio New Zealand, (consulté le )
  13. « Nouvelle-Calédonie : émeutes et tensions en marge du vote sur la réforme constitutionnelle à l’Assemblée » Accès libre, sur Le Monde, (consulté le )
  14. « Violences, interpellations… Le point sur la situation en Nouvelle-Calédonie », (consulté le )
  15. TEMOIGNAGES. Émeutes en Nouvelle-Calédonie : "Je n’ai pas envie de me faire tirer dessus ou tabasser…" Des habitants racontent leur crainte
  16. « Nouvelle-Calédonie : deux morts au cours des émeutes », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. « Emeutes en Nouvelle-Calédonie : état d’urgence déclaré, quatre morts… Les dernières infos », sur L'Express, (consulté le ).
  18. Charlotte Mannevy, Mathurin Derel et Nathalie Guibert, « Nouvelle-Calédonie : « On s’engage tout droit dans une guerre civile », pour le haut-commissaire de la République » Accès payant, sur Le Monde, (consulté le )
  19. « Emeutes en Nouvelle-Calédonie : la réforme gouvernementale adoptée, deux morts dans une nouvelle nuit de violences » Accès libre, sur Libération, (consulté le )
  20. (en) Angelique Chrisafis, « New Caledonia: three dead in French territory in unrest over voting change » Accès libre, sur The Guardian, (consulté le )
  21. « Émeutes en Nouvelle-Calédonie : le gendarme blessé par balle est décédé », (consulté le )
  22. « DIRECT. Émeutes en Nouvelle-Calédonie: l'Élysée annonce un bilan de trois morts et un gendarme "très grièvement blessé" » (consulté le )
  23. « En direct, émeutes en Nouvelle-Calédonie : l’état d’urgence entrera en vigueur « dès 20 heures, heure de Paris » », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  24. « Emmanuel Macron décrète l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie », sur Nouvelle-Calédonie la 1ère (consulté le ).
  25. « Émeutes en Nouvelle-Calédonie : le haut-commissaire interdit tout rassemblement et met en place un couvre-feu », sur Polynésie la 1ère (consulté le ).
  26. « DIRECT. Nouvelle-Calédonie : Attal annonce le déploiement de l'armée pour sécuriser ports et aéroport de l'île et l'interdiction de TikTok », sur leparisien.fr, (consulté le ).