Pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer

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Le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, dit encore pèlerinage des Gitans est une manifestation religieuse, doublée d'un phénomène touristique exceptionnel, qui se déroule en Camargue, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, chaque année les 24 et 25 mai. Ce pèlerinage, avec la présence massive de tsiganes venus de toute l'Europe, est l’objet d’une forte médiatisation. Cette tradition camarguaise est pourtant récente puisque elle a été instaurée sous sa forme actuelle par la marquis Folco de Baroncelli, en 1935.

Des origines au XIXe siècle

En 1926, le chanoine Chapelle[1] écrit : « C'est là que va être plantée la première croix, là que va être célébrée la première messe sur la terre des Gaules. C'est de là que va partir l'étincelle qui portera la lumière de l'Évangile à la Provence d’abord, ensuite au reste de la France ». Selon cet auteur les Saintes-Maries étaient un lieu de pèlerinage dès avant l'arrivée des Saintes, et il décrit les restes d'un temple païen successivement dédié à Mythra puis à Diane d'Éphèse[2].

Les trois Maries, par Nicolaus Haberschrack, XVe siècle

La seule chose qui est assuré est qu'un culte païen existait et que la construction de l'église-forteresse au XIIe siècle l'annexa définitivement au christianisme. Au XIVe siècle, sous le pontificat des papes d'Avignon, le pèlerinage y était très populaire. À tel point qu'en 1343, Benoît XII fixa la célébration des Saintes au 25 mai et au 22 octobre[3].

Jean de Venette, auteur d'un poème sur l'Histoire des Trois Maries raconte qu'il visita Pierre de Nantes, évêque de Saint-Pol-de-Léon, alors atteint de la goutte et que ce dernier n'aurait dû sa guérison qu'à l'intercession des trois Maries. L'évêque accomplit alors en remerciement un pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer en 1357[4].

Ce pèlerinage ne put qu'être connu des premiers Gitans qui entrèrent en Europe au début du XVe siècle[5]. Au cours de l'été 1419, les premières tribus gitanes apparurent sur le territoire de la France actuelle en trois lieux différents : Châtillon-sur-Chalaronne, Mâcon et Sisteron[6]. Ces nouveaux venus furent craints car identifiés aux bandes armées qui dévastaient ces régions. Aussi, préfèrait-on les payer pour obtenir d'eux une passade rapide[7].

La stèle des Tremaie aux Baux-de-Provence
Oreiller des Saintes Maries découvert en 1448

Les archives de la ville d'Arles conservent la trace de leur passage en avril 1438. Ils étaient alors à dix lieues des Saintes-Maries-de-la-Mer[5]. Dix ans plus tard, en 1448, ce fut l'invention des reliqes sous le règne du roi René[2]. Sous l'autel de l'église ont découvrit des ossements. Ils furent placés dans des châsses et transportés dans la chapelle haute[3]. Lors des fouilles que le comte de Provence avaient ordonné trois cippes furent exhumés, ils furent considérés comme les oreillers des Saintes. Toujours visibles dans la crypte de l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer, les deux premiers sont consacrés aux Junons et le troisième est un autel taurobolique ayant servi au culte de Mithra[8]. Jean-Paul Clébert suggère que le culte des trois Maries (les Tremaie) s'était substitué à un antique culte rendu aux trois Matres, divinités celtiques de la fécondité, et qui avait été romanisées sous le vocable des Junons[9].

La découverte des reliques attribuées aux Saintes Maries s'accompagna de la décision de les ostenter trois fois l'an, le 25 mai, pour la fête de Marie-Jacobé, le 22 octobre pour celle de Marie-Salomé et le 3 décembre. Une procession à la mer, avec la barque et les deux saintes, eut désormais lieu en mai et en octobre. Au cours de celle du 24 mai était associée Sara la Noire[2].

La première mention de Sara se trouve dans un texte de Vincent Philippon, bayle du viguier du comté de Provence, rédigé vers 1521 : La légende des Saintes Maries et dont le manuscrit est à la bibliothèque d'Arles. On l'y voit quêtant à travers la Camargue pour subvenir aux besoins du pèlerinage. En vérité, nul ne sait qui est Sara la Noire, ni comment son culte s'instaura Aux Saintes-Maries. Ce qui est certain, c'est que la dévotion à Sara commença dans l'église des Saintes bien avant la venue des Gitans en Camargue[5].

On les retrouve, en 1595, au pied du Mont Ventoux, au village de Faucon arrivant de Basse-Provence. Leur passade est rétribuée avec quatre pichets de vin. Comme ils reviennent le 19 du même mois, ils n'ont plus droit qu'à trois pichets. Nouvelle venue, le 23 juillet d'une bande de seize personnes qui accepte de ne pas s'attarder contre un pichet. Le vin étant apprécié, le 14 octobre une troupe plus nombreuse apparaît qui accepte de partir contre deux pichets. Le pichet valant alors trois sols, ce village du Comtat Venaissin s'en tirait à bon compte[7].

Quatre ans après, le village voisin du Crestet, résidence des évêques de Vaison, voit arriver Jean Delagrange, dit le comte des Bohémiens, avec sa tribu. Il achète sa passade contre quinze sous. Un demi-siècle plus tard, en 1655, le même village se trouve confronté à « la compagnie des Égyptiens du capitaine Simon ». Le ton a changé, il n'est plus question de négocier et les consuls ordonnent qu'ils soient expulsés « attendu le dégât que la compagnie aurait fait aux vignes et autres fruits du terroir »[7].

Seule la Révolution française interrompit momentanément le pèlerinage, qui reprit au début du XIXe siècle lorsqu'on commença à reparler des miracles et guérisons attribués aux reliques des Saintes femmes[2].

Pourtant aux Saintes-Maries-de-la-Mer, c'est le « royaume de la misère et de la fièvre », comme l'explique le baron de Rivière dans son Mémoire sur la Camargue publié en 1825. Dans toute la Camargue sévissaient les fièvres paludéennes, le village des Saintes-Maries-de-la-Mer se désertifiait. Tour à tour avaient décerté le juge, les régents d'école, le médecin et les notaires. À la fin du siècle, Vidal de la Blache, après avoir passé une journée en Camargue, notait : « … En somme, pays en pleine décomposition sociale »[2].

Conscients de cette situation, les Saintois réclament le désenclavement de leur village, uniquement desservi par des chemins impraticables plusieurs mois dans l'année. Le projet des commerçants qui dirigent la mairie, en 1850], est de développer un tourisme balnéaire, le pèlerinage rapportant peu[2].

Campement de pèlerins aux Saintes en 1852 par J. J. B. Laurens

Pas question alors de Gitans puisque leur présence n’est attestée qu’à la moitié du XIXe siècle. La première mention de leur participation aux pèlerinages des Saintes figure dans un article d’un journaliste de L’Illustration, Jean-Joseph Bonaventure Laurens, en 1852, avec une gravure de l'auteur[2].

Frédéric Mistral racontant sa visite en Camargue, en 1855, nota : « L'église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d'Arles, d'infirmes, de bohémiens, tous les uns sur les autres. Ce sont d'ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l'autel de Sara qui, d'après leur croyance, serait de leur nation »[5].

Fin XIXe siècle, bénédiction de la mer par l'abbé Escombard, curé des Saintes-Maries, lors des processions de mai et d'octobre avec une présence uniquement provençale

Les Gitans ne sont pas signalés y compris dans les archives de police. Celles de la paroisse les ignorent, tout comme le journal du curé Escombard, qui fut en fonction aux Saintes-Maries de 1861 à 1893[2].

Les Gitans qui participent au pèlerinage durant cette période se fondent parmi les autres pèlerins. Ils dorment soit sous des tentes, soit dans l'église, ce que confirme le curé de la paroisse des Saintes : « C’est surtout par des gens du Languedoc qu’est fréquenté le pèlerinage du 25 mai ; on couche dans l’église ». Meme si la présence, depuis la fin du XIXe siècle, de l’archevêque d’Aix-en-Provence en mai et octobre confirmait l'importance accordée à ces pèlerinage, cette présence populaire gêna certains puisqu'en 1873, le curé fit installer des tribunes payantes et numérotées dans l'église. Elles demeurèrent en place durant un siècle, garantissant à la fois une vue imprenable et le respect de la hiérarchie sociale[2].

La verdine sur les routes de Camargue
Campement gitan près d'Arles, par Vincent van Gogh, en 1888

À partir de 1892, l’arrivée du train aux Saintes-Maries-de-la-Mer facilite l’accès au village. En conséquence, les horaires des cérémonies s’adaptent aux horaires du train. Le guide de voyage Baedeker, dans son édition de 1886, ne mentionnait que l’existence des Saintes-Maries-de-la-Mer, mais, en 1897, il décrit la petite ville camarguaise accessible par voie ferrée, signale le pèlerinage et de la présence des Gitans[2].

Le journal paroissial, tenu par les curés des Saintes de 1861 à 1939, quand il mentionne leur présence insiste sur « l'aspect étrange, déroutant ou les manifestations exubérantes et quelque peu encombrantes de leur dévotion ». Vers 1900, un curé se demanda même ce que ces Gitans venaient faire au pèlerinage de mai et quelles raisons peu avouables les faisaient se mêler aux pèlerins locaux[5]. Par ailleurs, l'occupation nocturne de l'église donnait lieu à toutes sortes d’élucubrations que publiaient les journaux, il y était question d'élection de la reine des gitans, de célébration de messe noire, de rituels secrets et même de sacrifices sanglants[2].

Un autre curé moins hostile à leur préence, notait : « Les bohémiens sont déjà arrivés. Usant d'un droit très ancien qu'on leur a laissé d'occuper, sous le choeur de l'église, la crypte de Sainte Sara, leur patronne légendaire, ils sont là accroupis au pied de l'autel, têtes crépues, lèvres ardentes, maniant des chapelets, couvrant de leurs baisers la châsse de leur sainte, et suant à grosses gouttes au milieu de centaines de cierges qu'ils allument »[5].

Procession nocturne aux Saintes-Maries

Il est assez admiratif quand raporte : « Jour et nuit, ils chantent des cantiques et marmonent des prières que personne ne comprend, dans un langage qui n'a pas plus de nom que d'histoire... C'est un spectacle unique que leur présence à ces fêtes. Elle donne au pèlerinage un caractère d'originalité qui ne manque pas de pittoresque et de grandeur »[5].

Si le curé des Saintes souligne « leur zèle excessif, leur démonstration enthousiaste, leur abandon diligent », il se demande s'ils sont véritablement chrétiens et il serait tenté d'en douter. Il explique : « Tout incline à croire qu'ils ne font aucune attention aux offices et ne prennent aucune part au culte traditionnel. Ils semblent consacrer toute leur dévotion à l'autel de leur sainte privilégiée. Au moment des acclamations aux Saintes Maries, la plupart restent muets ou s'obstinent à répondre par le cri unique de Vive sainte Sara »[5].

Baiser d'un enfant à la barque des Saintes

Il reconnait cependant que nombreux sont ceux qui sont attachés à la religion catholique, qui font baptiser leurs enfants ou qui appelent un prêtre pour leurs malades. Il constate de plus que « pendant les fêtes des Saintes Maries, leur attitude est des plus respectueuses. Les longues heures qu'ils passent à la crypte, la vénération qu'ils ont pour les saintes châsses, l'empressement qu'ils mettent à porter, toucher, baiser, faire baiser à leurs enfants, à la procession, la barque qui contient les statues des Saintes, se disputent les fleurs qui la parent, témoignent de leurs sentiments chrétiens. Pour être quelques fois bruyante et exagérée, leur dévotion ne dénote pas moins chez eux un certain esprit de foi et de confiance qui les honore et fait plaisir à voir »[5].

Dans le journal de la paroisse se trouvent aussi quelques indications sur le nombre de Gitans qui fréquentaient alors le pèlerinage. Jusqu'en 1939, sur un total de dix à vingt mille pèlerins, ils étaient un bon millier arrivant dans une centaine de roulottes[5].

Le marquis de Baroncelli crée une tradition

Le pèlerinage des Gitans

Notes et références

  1. A. Chapelle, Les Saintes-Maries-de-la-Mer, l'église et le pèlerinage, Cazilhac, Belisane, 1926.
  2. a b c d e f g h i j et k Marc Bordigoni, op. cit. en ligne
  3. a et b Pèlerinage gitan et le marquis de Baroncelli
  4. M. de La Curne, Mémoire concernant la vie de Jean de Venette, avec la Notice de l'Histoire en vers des Trois Maries, dont il est auteur, 1736, en ligne
  5. a b c d e f g h i et j Pierre Causse, op. cit., en ligne
  6. Fr de Vaux de Foletier dans Monde Gitan - Numéro spécial : Les Tsiganes
  7. a b et c Jean-Pierre Saltarelli, Les Côtes du Ventoux, Éd. A. Barthélemy, Avignon, 2000, p. 37. (ISBN 2879230411)
  8. Jean-Paul Clébert, op. cit., p. 423.
  9. Jean-Paul Clébert, op. cit., p. 421.

Bibliographie

Voir aussi

Artices connexes

Liens externes