Stratification sociale

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Publiée à des fins de prise de conscience par la revue Industrial Worker (IWW) en 1911, cette pyramide des rôles est une critique en soi du capitalisme et de la société qui, dans cette vision, en découle.

La stratification sociale, appelée aussi hiérarchisation sociale, est un processus qui tend à positionner les individus de façon hiérarchique, en strates (ou couches) au sein d'une organisation sociale donnée, et à engendrer des inégalités, en termes d'accès et de répartition des ressources. Le processus de stratification sociale produit une hiérarchie sociale, ainsi qu'un ordre social.

Périodes préhistoriques et protohistoriques[modifier | modifier le code]

Selon la théorie évolutionniste socioculturelle, les périodes préhistoriques et protohistoriques sont globalement marquées, malgré quelques phrases de nivellement social, par le passage des sociétés relativement égalitaires du Néolithique (période caractérisée par la prédominance des tombes collectives à l'échelle familiale, villageoise ou à recrutement plus large) aux chefferies individualistes des âges du bronze et du fer. Si l'émergence d’une hiérarchie sociale forte est visible dès le Néolithique (prestige de certaines architectures domestiques, cultuelles ou funéraires), elle devient plus marquée aux époques protohistoriques (multiplication de sites fortifiés sur des points topographiques stratégiques[1], développement de la production d'objets de luxe et de prestige, de l'architecture monumentale, de sépultures individuelles isolées ou bien regroupées en de vastes cimetières, sous forme de tombes simples et d'autres aristocratiques)[2].

Dans l'histoire antique[modifier | modifier le code]

Chez les Grecs, la société des cités se divise principalement en trois catégories reconnues :

  • les citoyens, hommes libres possédant des droits politiques de la polis.
  • les métèques ou hommes libres étrangers.
  • les esclaves ou hommes non libres. Contrairement aux deux premières, cette strate inférieure contient en son sein des femmes et des enfants.

Chez les Romains, la société se divise en catégories complexes que la notion marxiste de classe sociale ne peut pas rendre parfaitement, compte tenu des critères plus juridiques que socio-économiques :

La stratification des groupes sociaux romains ayant considérablement évolué au cours de l'antiquité romaine, la société romaine se trouve regroupée en deux grands ordres à partir du IIIe siècle ; les honestiores et les humiliores — l'élite et les humbles —, séparés juridiquement et socio-économiquement.

Dans l'histoire médiévale et à l'Époque moderne[modifier | modifier le code]

Dans le monde européen des périodes qui ont suivi l'antiquité, c'est une société d'ordres qui s'est mise en place. Dans d'autres continents, ce fut souvent une société de castes. L'un et l'autre ne sont pas synonymes. Dans la Civilisation islamique à partir du VIIe siècle, les couches sociales ont varié selon les lieux et les temps mais toujours au sein d'une famille selon des catégories d'emploi : commerce, administration, etc. Plusieurs de ces types de société se sont en partie maintenus jusqu'à aujourd'hui, d'où les notions encore actuelles de :

Dans la Chrétienté a été élaboré une description de la société chrétienne en trois ordres sociaux, dont seuls les caractères juridiques se sont maintenus jusqu'à l'époque des révolutions du XVIIIe siècle et du XIXe siècle :

Ces catégories n'ont jamais été fondées sur des valeurs de richesse, d'où l'apparition dès l'an Mil d'une bourgeoisie dans les bourgs et villes européennes, au sein du tiers état mais utilisée comme ressource sociale des deux autres ordres (voir anoblissement).

  • le servage présent dans quelques pays, parfois jusqu'au XIXe siècle (Russie) montre le caractère non complet de cette description. Toutefois il a commencé à être fortement limité dans les pays occidentaux à partir du XIe siècle.

L'évolution des sociétés paysannes, également stratifiées à l'extrême, vers une société ouvrière dans le cadre des révolutions industrielles a profondément modifié la société européenne et les sociétés occidentales installées en Amérique.

Dans la société contemporaine[modifier | modifier le code]

Les approches sont diverses pour décrire les strates de la société actuelle issue des révolutions industrielles et des transformations de la société agricole. Ces analyses ne peuvent pas se faire sans être rapprochées des études démographiques, ni sans la compréhension des notions d'Industrialisation, de Colonisation, de Mécanisation ou encore de Mondialisation. Enfin, il ne faut pas oublier de regarder ces transformations avec le prisme des deux guerres mondiales et de la construction des sociétés démocratiques et totalitaires.

De là, divers types d'analyses sont en concurrence, compte tenu des opinions :

Perspective marxiste[modifier | modifier le code]

Dans la perspective marxiste, la société est hiérarchisée en classes sociales plus ou moins antagonistes dans une lutte des classes, ici rangées de la plus pauvre à la plus riche :

Le marxisme associe à cette vision de la stratification de la société la notion historique de « lutte des classes ». Pour Marx, l'histoire n'est qu'une succession de lutte entre classe dominante et classe dominée. Il associe à la classe dominée le prolétariat et à la classe dominante la bourgeoisie. La lutte des classes se base sur la théorie de la stratification sociale.

Le projet du communisme est de modifier le rapport entre les strates sociales pour parvenir à une société sans classes.

Il faut noter l'effet de théorie propagée par les textes de Karl Marx en France[3].

Perspective non marxiste[modifier | modifier le code]

Dans une perspective non marxiste, la société est aussi hiérarchisée en classes, mais celles-ci sont différentes. On parlera notamment de :

La perspective écosophique tend à reconsidérer les classes sociales non pas d'après des strates mais selon un écosystème social. Elle tient compte de la notion d'écologie sociale ou écologie politique.

De nombreuses théories de la stratification sociale sont construites autour de l'idée de classes sociales différenciées. Comme dans d'autres théories de la stratification, l'appartenance professionnelle y est un élément important pour la définition de la position sociale[4]. En France, la position dans le champ productif est saisie dans les travaux quantitatifs par le biais de la nomenclature Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS).

Perspective bourdieusienne[modifier | modifier le code]

Les éléments par lesquels Bourdieu saisit la position sociale ont évolué au fil de ses recherches[5]. Dans Sociologie de l'Algérie, il utilise pour déterminer la position sociale d'un individu des critères tels que le sexe, l'âge, la zone géographique, la langue parlée, la sédentarité, la position dans la famille, le patrimoine familial, etc[6],[5]. Plus tard, il synthétisera sa conception de la stratification sociale en représentant le monde social sous la forme d'un espace à plusieurs dimensions.

La notion de capitaux est essentielle afin de comprendre la théorie bourdieusienne de la stratification sociale. En effet, la position sociale d'un agent dans l'espace social est défini par la position qu'il occupe dans les différents champs, c'est-à-dire au sein de la distribution des pouvoirs agissants dans les champs considérés. Ces pouvoirs sont principalement le capital économique, le capital culturel, le capital social, ainsi que le capital symbolique[7]. L'originalité de la théorie bourdieusienne est de lier des concepts et théories de nombreux auteurs : il reprend ainsi l'idée de capital de Karl Marx en le déclinant dans d'autres domaines, rejoint la thèse wébérienne selon laquelle les représentations sont importantes pour le maintien des hiérarchies sociales en légitimant "l'universalité d'une vision du monde arbitraire, celle de la classe dominante"[5] ; il s'inspire également du travail d'Émile Durkheim ou encore de Maurice Halbwachs[5].

Stratification sociale : critiques[modifier | modifier le code]

Une partie des théories de la stratification sociale raisonnent à partir d'un schéma ternaire (bas/moyen/haut). Une critique majeure de ce type de raisonnements est l'absence de réflexion sur la pertinence sociologique d'un tel découpage tripartite : "Tant que l'on n'objectivera pas les traces empiriques de ce découpage ternaire, que l'on ne montrera pas qu'il est plus pertinent qu'un découpage en deux, en neuf ou en quarante-cinq ou qu'une autre distribution plus complexe, il y aura de bonnes raisons de penser qu'il ne traduit rien d'autre que la pensée ternaire, selon le schéma élémentaire bas/moyen/haut, de ceux qui le mettent en œuvre"[5]. Ce découpage exigerait théoriquement des preuves empiriques de l'existence de frontières réelles entre ces diverses classes, et non pas de simples différences progressives de ressources ou capitaux (économiques, culturels, etc.)[5].

Une autre critique classique des études portant sur la stratification sociale est l'essentialisation des catégories utilisées, le recours à une phénoménotechnique sans réflexion plus large sur la pertinence de ces catégories vis-à-vis du sujet traité[5].

Stratification sociale : éléments empiriques[modifier | modifier le code]

En France, les études quantitatives s'intéressant à la stratification sociale se réfèrent souvent à la classification de la population en Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), utilisée par l'INSEE depuis 1982. Ces catégories sont regroupées en 6 groupes socioprofessionnels :

  • Agriculteurs exploitants
  • Artisans, commerçants et chefs d’entreprise
  • Cadres et professions intellectuelles supérieures
  • Professions Intermédiaires
  • Employés
  • Ouvriers

Cette classification remplace la nomenclature des Catégories socioprofessionnelles (CSP), datant de 1954. Les PCS ont subi des rénovations en 2003 et 2020[8]. Si des tables de transcodage théorique existent entre ces différentes versions des PCS, le passage entre les CPS et les PCS est peu aisé en raison des nombreux changements entre les deux nomenclatures[8].

À l'ère de la mondialisation et des réseaux sociaux médiés par l'Internet[modifier | modifier le code]

Les amitiés internationales sont considérées comme enrichissant le savoir et la vie des individus[9],[10] ; elles influent aussi sur la stratification sociale (avec des enjeux de hiérarchie, statut, pouvoir, subordination voire d'oppression)[11]. Avec le Web 2.0 et ses suites, les réseaux sociaux sont devenus plus « virtuels » et se sont notamment développés dans la webosphère, dont via les « amis » sur Facebook.

Deux études conduites par des psychologues de l'Université de Cambridge ont en 2015 étudiés le nombre d'« amis » sur Facebook des internautes.

  • la première a conclu que dans la classe sociale supérieure étasunienne, les niveaux d'amitié internationaux sur Facebook sont inférieurs à ce qu'ils sont dans les autres classes, ce qui prive la classe sociale supérieure d'accès à des idées nouvelles, comme à certaines opportunités commerciales[12] (et expliquant peut-être sa crainte des migrants).
  • la seconde étude, basée sur « les amis Facebook formés en 2011 (près de 50 milliards d'amitiés) dans 187 pays » montre que plus un pays est riche, plus le niveau d'internationalisme est bas sur Facebook (moins d'amis étrangers)[12].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Ces défenses naturelles sont des sites de hauteur (éperon, colline) protégés par des dénivelés ou, des sites de plaine (confluences et méandres de cours d’eau) protégés par ces zones humides. Certaines sont secondairement dotées de fortifications (rempart simple ou multiple au niveau d'un éperon barré, d'une colline fortifiée). Cf « Il était une fois l'âge du Bronze. Des sites protégés au territoire fortifié », sur inrap.fr (consulté en ).
  2. (en) Timothy Earle, Bronze Age Economics: The First Political Economies, Routledge, , 464 p..
  3. Pierre Bourdieu, « Décrire et prescrire: Note sur les conditions de possibilité et les limites de l'efficacité politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 38, no 1,‎ , p. 69–73 (ISSN 0335-5322, DOI 10.3406/arss.1981.2120, lire en ligne, consulté le )
  4. Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant et Olivier Masclet, Sociologie des classes populaires contemporaines, Armand Colin, coll. « Collection U. Sociologie », (ISBN 978-2-200-27216-6)
  5. a b c d e f et g Rémi Sinthon, Repenser la mobilité sociale, Éditions EHESS, coll. « Collection "En temps & lieux," », (ISBN 978-2-7132-2731-8), p. 206
  6. Pierre Bourdieu, Sociologie de l'Algérie, PUF, coll. « Quadrige », (ISBN 978-2-13-060877-6)
  7. Pierre Bourdieu, « Espace social et genèse des "classes" », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52, no 1,‎ , p. 3–14 (ISSN 0335-5322, DOI 10.3406/arss.1984.3327, lire en ligne, consulté le )
  8. a et b Nomenclature PCS, « Nomenclature PCS », sur www.nomenclature-pcs.fr (consulté le )
  9. (en) Kristin Davies, Linda R. Tropp, Arthur Aron et Thomas F. Pettigrew, « Cross-Group Friendships and Intergroup Attitudes: A Meta-Analytic Review », Personality and Social Psychology Review, vol. 15, no 4,‎ , p. 332–351 (ISSN 1088-8683 et 1532-7957, DOI 10.1177/1088868311411103, lire en ligne, consulté le ).
  10. [Yzerbyt et Demoulin 2010] (en) Vincent Yzerbyt et Stéphanie Demoulin, « Intergroup Relations », dans Susan T. Fiske, Daniel T. Gilbert et Gardner Lindzey, Handbook of Social Psychology, vol. 2, Hoboken, John Wiley & Sons, (ISBN 978-0-470-13749-9, OCLC 690587579, BNF 42295509, DOI 10.1002/9780470561119.socpsy002028, SUDOC 144566524, présentation en ligne, lire en ligne [PDF]), partie 3, p. 1024-1083.
  11. (en) Susan T. Fiske, « Interpersonal Stratification: Status, Power, and Subordination », Handbook of Social Psychology, John Wiley & Sons, Inc.,‎ (ISBN 978-0-470-56111-9, DOI 10.1002/9780470561119.socpsy002026, lire en ligne, consulté le ).
  12. a et b (en) Maurice H. Yearwood, Amy Cuddy, Nishtha Lamba et Wu Youyou, « On wealth and the diversity of friendships: High social class people around the world have fewer international friends », Personality and Individual Differences, vol. 87,‎ , p. 224–229 (DOI 10.1016/j.paid.2015.07.040, lire en ligne, consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Il existe une catégorie consacrée à ce sujet : Stratification sociale.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Felix Bühlmann, Céline Schmid Botkine, Peter Farago, François Höpflinger, Dominique Joye, René Levy, Pasqualina Perrig-Chiello, Christian Suter (éds.) (2012), « Rapport social 2012 : générations en jeu », Genève/Zurich, Éditions Seismo, Sciences sociales et problèmes de société, (ISBN 978-2-88351-058-6)
  • (en) John Goldthorpe, Revised class schema, Londres, Social and Community Planning Research, .
  • (en) John Goldthorpe, The economic basis of social class, Londres, Centre for Analysis of Social Exclusion, London School of Economics, .
  • Dominique Joye, Christine Pirinoli, Dario Spini et Eric Widmer (2012), Parcours de vie et insertions sociales, Genève/Zurich, Éditions Seismo, Sciences sociales et problèmes de société, (ISBN 978-2-88351-053-1)
  • René Levy (1997), Tous égaux ? De la stratification aux représentations, Genève/Zurich, Éditions Seismo, Sciences sociales et problèmes de société (ISBN 978-2-88351-016-6)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]