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Robert Desnos - J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé : À toutes les apparences de la vie
Et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être et pourtant,
Qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre cent fois
Que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos (4/07/1900-1945) - "Corps et biens"(1926-1930) (éd. Gallimard)

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s:juillet 2010 Invitation 1

Julien Gracq - Bonheur

Et elle se mit à rire de nouveau, de son rire de pluie fraîche. Maintenant qu'il l'avait rejointe, elle marchait à côté de lui d'un bon pas. Grange la regardait quelquefois à la dérobée ; derrière le bord du capuchon, il ne voyait que le nez et la bouche, tout vernissés d'eau, que le court menton buté tendait à la pluie, mais il était remué de la sentir auprès de lui, jeune et saine, souple comme un faon, dans la bonne odeur de laine mouillée. D’elle-même elle s'était mise à son pas : c'était doux comme si elle se fût appuyée sur lui. Parfois elle tournait un peu la tête, et faisait glisser un instant le bord du capuchon sombre sur ses yeux couleur d’éclaircie, leurs regards se croisaient, et ils riaient un peu sans rien dire, d'un rire de pur contentement.

Julien Gracq (27/07/1910 - 2007) - Un balcon en forêt (Éditions José Corti, 1958)

s:juillet 2010 Invitation 2

Robert Desnos - J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé : À toutes les apparences de la vie
Et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être et pourtant,
Qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre cent fois
Que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos (4/07/1900-1945) - "Corps et biens"(1926-1930) (éd. Gallimard)

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s:juillet 2010 Invitation 3

Arthur Conan Doyle - Sherlock Holmes

Holmes n’était certes pas un homme avec qui il était difficile de vivre. Il avait des manières paisibles et des habitudes régulières. Il était rare qu’il fût encore debout après dix heures du soir et invariablement, il avait déjeuné et était déjà sorti avant que je ne me lève, le matin. Parfois il passait toute la journée au laboratoire de chimie, d’autres fois, c’était dans les salles de dissection, et de temps à autre en de longues promenades qui semblaient le mener dans les quartiers les plus sordides de la ville. Rien ne pouvait dépasser son énergie quand une crise de travail le prenait ; mais à l’occasion une forme de léthargie s’emparait de lui et, pendant plusieurs jours de suite, il restait couché sur le canapé du studio, prononçant à peine un mot, bougeant à peine un muscle du matin jusqu’au soir. En ces circonstances j’ai remarqué dans ses yeux une expression si vide, si rêveuse que j’aurais pu le soupçonner de s’adonner à l’usage de quelque narcotique, si la sobriété et la rectitude de toute sa vie n’eussent interdit une telle supposition.

Arthur Conan Doyle (1859-1930) - Une étude en rouge, 1887 - (Chapitre 2)

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s:juillet 2010 Invitation 4

Pierre -Dupont - Les Bœufs

J'ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux ;
La charrue est en bois d'érable,
L'aiguillon en branche de houx.
C'est par leur soin qu'on voit la plaine
Verte l'hiver, jaune l'été ;
Ils gagnent dans une semaine
Plus d'argent qu'ils n'en ont coûté.
S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre ;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien ! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs.

Pierre Dupont (1821-24/07/1870) - Chants et Chansons (1851)

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s:juillet 2010 Invitation 5

Mary Ann Shaffer et Annie Barrows - Lire

Mieux vaut commencer par préciser que nous n'étions pas un vrai cercle littéraire, au début. En dehors d'Elizabeth, de Mrs. Maugery et de Booker peut-être, presque aucun de nous n'avait remis la main sur un livre depuis l'école. Quand nous les choisissions sur les étagères de Mrs. Maugery , nous avions peur d'abîmer du si beau papier. Je n'avais aucun goût pour ce genre d'activité, à l'époque. Je ne me serais jamais résolu à ouvrir mon premier livre, si je n'avais pas eu à l'esprit l'image du commandant et de la prison.

Il s'intitulait Shakespeare, morceaux choisi. Plus tard, j'en suis venu à comprendre que Messrs Dickens,et Wordworth pensaient à des hommes comme moi en écrivant. Mais d'eux tous, je cois que c'est William Shakespeare qui y pensait le plus. Remarquez, je n'arrive pas à tout comprendre, mais ça viendra.

J'ai le sentiment que, moins il en dit, plus c'est beau.

Mary Ann Shaffer et Annie Barrows - Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates (2008, trad. fr. NIL éditions, 2009) (page 94)