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Albert BAUSIL

Castres, le 16 décembre 1881 – Perpignan, 2 mars 1943.

Tour à tour acteur de théâtre, auteur de pièces, journaliste, directeur de journaux, poète et écrivain, Albert Bausil aura été l'acteur incontournable de la vie culturelle perpignanaise à l'époque de l'entre-deux-guerres notamment par le très influent journal « le Coq Catalan » dont il est le fondateur. Avec Louis, son frère artiste-peintre, les frères Bausil donnent l'impulsion à la Culture locale. Passionné de Théâtre, Albert se distingue dans « l'Aiglon » en 1902, pièce d'Edmond Rostand à qui il dédiera ses premières écritures « Primeroses et Rimes Roses » et le considérera comme son unique Maître. Il créera une trentaine de Revues théâtrales qui seront jouées de Nice à Biarritz et de Perpignan à Paris. Ami de Rostand, Cocteau, Max Jacob, Louis Amade, il prendra sous son aile le jeune Charles Trenet (1929) et en révélera son talent au point d'en devenir le mentor et un puits d'inspiration. Si l'on retient traditionnellement de Bausil l'« Hymne au Roussillon » comme son œuvre majeure, sa poésie se distingue par un style sobre et populaire dépoussiérant au passage une image trop souvent élitiste, où la pureté et la finesse y tiennent résidence.


Une fratrie bercée de culture :

Albert Bausil voit le jour à Castres le 16 décembre 1881, ville dans laquelle son père, François Bausil était sous-préfet depuis 1879. Au décès de ce dernier, en 1887, La mère, Lucie Bausil, née Triquera, originaire d'Estagel, dans les Pyrénées-Orientales, décide de revenir s'installer à Perpignan, dans une maison de la rue Petite De La Réal.

« Elle n'avait rien de spécial. Mais c'était notre rue. Elle avait une âme à elle. Elle avait une vie que les autres rues n'avaient pas. Je connaissais toutes les maisons. Je connaissais toutes ses lampes et le reflet des abat-jour sur chacune des tables mises, l'hiver, dans la salle à manger » écrira Albert Bausil. La famille s'installe ensuite dans la maison familiale d'Estagel (maison située dans l'actuelle impasse Albert Bausil, aujourd'hui transformée en chambres d'Hôtes « Villa Bausil »).

Albert Bausil est le dernier enfant de la fratrie : La première, Marie, dite « Marinette », 31 août 1870 devient « Comtesse d'Abbès » en épousant le Comte Paul Abbès, un critique d'art et auteur notamment des ouvrages « Luxuria » et « Timandra » imprégnés des récits de relations intimes entre Socrate et son élève Alcibiade. La seconde, Françoise, née à Estagel au début de l'année 1871. Dite « chiquette » ou « La Mondaine » surnom hérité de son mode de vie. Elle fréquente très tôt le milieu artistique et ses acteurs. Le troisième, Charles Bausil (1871 -1897) est directeur de la revue culturelle « la Clavellina ». Tandis que l'influence de sa revue lui promet un bel avenir, ce destin prometteur est écourté. Il décède à l'âge de 26 ans. Le quatrième, Louis Bausil (1876 – 1945) est le célèbre peintre impressionniste qui,comme son frère (et avec lui) aura une influence considérable sur la culture perpignanaise de l'entre-deux-guerres. Dans les années 20, Louis commande à l'Architecte Raoul Castan, la construction d'une maison d'un modernisme insubordonné pour l'époque dans la continuité d'une des tours des remparts enserrant la ville de Perpignan. Située au 41 rue Rabelais, cette maison devînt l'atelier de Louis. Ce lieu, aujourd'hui transformé en Restaurant « La Maison Rouge », vit passer de grands noms tels que Aristide Maillol, Etienne Terrus, Déodat de Séverac, Jean Cocteau, Gustave Violet, Matisse, Picasso, Paul Gauguin et Bien sûr, Charles Trenet. Tous les enfants Bausil auront des destins très étroitement liés à l'Art du fait d'une éducation artistique. Et aucun ne laissera de descendance.

Du théâtre à l'écriture :

Tandis que Louis Bausil se consacre à la peinture, Albert, lui, se passionne pour le théâtre. En 1902, il se distingue dans la pièce « L'Aiglon » d'Edmond Rostand écrite en 1900 en jouant le rôle du même nom.

En 1905, il publie des recueils de poésies notamment « Primeroses et rimes roses » dédié à Rostand qu'il considérait comme son « Unique Maître ». Après quelques hésitations, Albert lui écrira lui déclarant toute sa reconnaissance et son admiration. Cette « audace » lui permettra de rencontrer son Maître et de lier une profonde amitié.

« Maître,

Autrefois, j’ai voulu que mon premier poème parût sous l’égide de votre nom. Il s’en est allé vers vous, avec l’excuse de sa jeunesse, naïvement heureux de croire qu’il rejaillissait un peu de Gloire sur lui – parce qu’il portait en aigrette la Gloire dans sa dédicace!

Aujourd’hui, c’est ma première plaquette que je vous offre. Laissez-moi vite vous dire qu’elle n’ira pas vers le grand public. La plupart des poèmes qu’elle renferme furent commis lorsque j’étais rhétoricien. Or, ce soir, au seuil de mes vingt ans, au moment de la crise où la vision s’affine, où la sensation se précise, où la manière se transforme, j’étais sur le point de les désavouer… Sans doute, plus tard, s’il m’arrive de réaliser un peu de l’idéal que je porte en moi dans une œuvre véritable, je rougirai de ces pauvres vers maladroits. Et, cependant, je les aime. Je les aime parce qu’ils disent les premiers rêves de l’enfant que je viens d’être, et parce que c’est un peu de mon petit moi-même qui s’éveille quand je les dis…

Au moment d’aller vers Paris, qui voit avorter ou s’épanouir tant de métamorphoses, j’ai voulu réunir mes premières strophes à l’intention de mes amis. Les amis seuls sauront les accueillir pour leur faiblesse et les aimer pour leur humilité…

Pauvres vieilles chansons de mon adolescence !

C’est, en somme, une concession – à – perpétuité que je leur assure dans un petit cimetière de province, où l’Oubli aura la pitié de laisser croître beaucoup de ronces…Je tiens, cependant, – pour deux raisons, – à vous dédier mes « Primeroses ».

Il me semble que mon désir (exprimé dans « La Muse du Poète », qui est, en quelque sorte, ma profession de foi littéraire) de voir succéder à une poésie nébuleuse et torturée, une poésie de lumière et de soleil ne saurait mieux se préciser, que si je mettais en tête de mes poèmes le nom de celui qui chante le plus radieusement le Génie lumineux de France.

Et puis… je vous ai dit que « Primeroses », était pour mes seuls amis. Et les encouragements que vous m’avez prodigués m’enhardissent à vous considérer comme le plus grand de tous! N’est ce pas votre faute si vous m’avez habitué à vous aimer… au moins autant que je vous admire ?

Jadis, je vous ai dit avec quel orgueil je gardais les reliques qui me venaient de vous. Je n’oublie pas non plus que vous avec été, pour m’encourager, jusqu’à trouver mes vers « très habiles et, ce qui est mieux, d’une si jolie inspiration. » C’est donc pour vous dire encore mon merci le plus ému

« Que je mets tout mon cœur dans un bouquet de rimes, Afin de l’effeuiller, dévotement, pour vous! »

ALBERT BAUSIL Perpignan, mars 1905.

Toujours en 1905, il est reçu à la SASL (Société Agricole, Scientifique et Littéraire) par Frédéric Saisset et Gustave Cazes au sein de laquelle il rédige des bulletins. En 1906, il y publiera l'un de ses plus beaux poèmes « L'Hymne Au Roussillon ».

En 1907, il signe le livret de l'Opéra-Bouffe « le Roi Pinard » de Déodat de Séverac ce qui lui permet d'être primé à plusieurs reprises aux jeux floraux notamment de Toulouse. Bausil écrira plus d'une trentaine de revues théâtrales dont certaines connaîtront un beau succès national « Nous ne serons jamais prêts » (1911), « Perpignan-Revue » (1911), « Allô Père Pigne » (1926) dans laquelle Charles Trenet jouera le rôle de « Bacchus enfant », « La Têt en bas » (1926), Le bandit du Canigou » (1930), Revue de Printemps (1933) « Vive la joie » (1934), « Le Coq a chanté » (1942)...

Et puis, le journalisme :

Comme beaucoup, il tente sa chance à la Capitale. Il intègre l'équipe rédactionnelle du journal « L'excelsior » ou il tient la chronique théâtrale. Il côtoie alors les artistes du moment (Mistinguett, Suzy Solidor, Maurice Chevalier, Ray Ventura, Tino Rossi, Mérode, Réjane, Polaire, Jean Cocteau et Max Jacob. Ce dernier restera un des personnages marquants de sa vie). Toutefois, se sentant trop à l'étroit dans sa liberté d'écriture, et en mal du pays il revient vite sur sa terre maternelle. Parce qu'il sait qu'il est trop indépendant pour collaborer à long terme avec un journal établi, il crée avec ses amis Jean Payra et Victor Dalbiez, un hebdomadaire « le Cri Catalan » . Nous sommes en 1909. La « gazette légère et badine » se veut humoristique, satirique, ironisante et culturelle, à l'image de son fondateur. Albert y écrit des chroniques sous différents pseudonymes sur le théâtre, la littérature, le sport (principalement le rugby) et la vie mondaine perpignanaise dont il écorche, avec dérision et une acuité incisive, le mode de vie et ses excès. Le journal connaît rapidement un grand succès et devient l'un des piliers du tissu médiatique local. Il parvient également à obtenir des signatures de talents (Henry Muchard, Frédéric Saisset de la SASL, Joseph Sebastia Pons, Louis Codet, Pierre Camo). Pour expliquer la réussite de son hebdomadaire, Albert écrit : « Il faut recourir à l'humour, à la satire, à l'esprit (si l'on peut), à l'exploitation sans haine et sans méchanceté du petit potin local, au coin de la Loge et de la rue des Marchands. Il faut tendre des appâts pleins de malice. Il faut surtout voir les choses d'un peu haut. Il faut se vêtir d'une armure d'indifférence et d'un scaphandre de mépris, d'une carapace de bonne humeur et ainsi déguisé pour le carnaval de la vie perpignanaise, s'installer au balcon, pour regarder passer les masques ». Au sujet des pseudonymes Albert Bausil en utilisait un grand nombre et écrivait à lui seul dans chaque numéros parfois plus d'une dizaine de rubriques différentes. « Percinet » était l'un de ses pseudonymes favoris de Bausil en hommage au personnage de la pièce « Les Romanesques » d'Edmond Rostand.

Albert Bausil et la guerre : Albert Bausil est mobilisé le matin du 3 octobre 1914, comme infirmier militaire affecté à l'Hopital militaire d'Amélie les Bains. Là, il soigne comme il le peut les blessés qui arrivent en masse. Il voit de près les conséquences horribles de la guerre, guerre qu'il n'aura de cesse de dénoncer. il écrit « L'Ode au tribun » en hommage à Jean Jaurès assassiné quelques mois plus tôt. Le poème sera lu lors de l'inauguration d'un monument dédié à Jaurès par l'actrice Madeleine Roch.

    «  (…) d'avoir crié : Haine à la guerre ! Haine à la guerre ! N'inondez pas de sang vos vergers, Messidors ! N'écoutez pas les voix de meurtre et de colère ! 
Semez ! Faites fleurir les printemps de la terre ; Le Soleil ne luit pas pour éclairer les morts ! »

Il sera dévasté en apprenant la mort de son jeune ami « le gosse », le « Petit Prince de l'ASP » Aimé Giral blessé mortellement par un éclat d'obus au poumon dans les tranchées du front de Champagne à qui il avait écrit à travers un article du « Cri » :

À un « de la classe 15 »

Mon ami, il faut fermer les cahiers et les livres. Il faut ranger le cartable, et l’équerre et les compas, et le plumier où sont « les crayons de couleur » … Il faut ranger aussi dans l’armoire le beau maillot « lavé à neuf » et les gros souliers à crampons … Il faut partir vers cette chose terrible : se battre.

Tu as 19 ans. Tu étais le gosse de la bande. Les autres, les aînés, étaient partis le premier jour, ardents, fervents, chantants, comme ils partaient pour Tarbes ou pour Bayonne. Toi, on t’avait trouvé trop petit. On t’avait laissé à la maison. Tu étais ce que nous appelons en catalan d’un joli nom familier et pittoresque : lo caga-niu. On t’a laissé …

Mais, au fond, tu avais honte, un peu. Il te semblait qu’on venait, tout d’un coup, de te rayer de l’équipe et qu’on ne voulait pas de toi le jour du Grand Match … L’autre matin, seulement, tu as reçu ta convocation. Tu connais ça, les convocations !

Il y a deux mois, tu avais reçu l’autre, celle de la Faculté, pour le Bac. Cette fois, il s’agissait d’un examen « de physique » qui n’était pas fait pour te déplaire. Et l’athlète complet a été reconnu « bon » ! Il y a quelque chose de très joli, dans la lettre où tu m’annonces le résultat :

« J’aurais eu honte de ne pas être pris, de ne pas pouvoir aller venger mes camarades morts au champ d’honneur »

Bravo petit ! C’est à toi de les venger, en effet. Tu vas entrer dans la carrière quand beaucoup de tes aînés, déjà, n’y seront plus. Ton départ est moins brillant. Tu n’auras pas eu les cortèges enivrés du premier jour, ni les trains fleuris, ni les troupes chantantes, ni les Marseillaises envolées. Il n’y aura pas écrit « À Berlin » sur le wagon qui t’emportera, car nos espérances, aujourd’hui, sont devenues moins insolentes. Mais ta mission est plus belle. Elle se double d’un devoir. Il faut vaincre – et il faut venger. À tes épaules de 19 ans, fières du glorieux fardeau, le flingot sera léger, qui te donnera la vengeance et la victoire. Sans doute le sac sera pesant, et la capote souvent mouillée par les brouillards de la Meuse ou du Rhin, et lourde la pelle pour les tranchées, et lourde la baïonnette pour l’assaut … Plus lourd tout cela, que le maillot de laine blanche et que le ballon de cuir, dont ta savate magistrale se débarrassait si bien, par delà les poteaux, le soir de Toulouse … Maintenant aussi, il s’agit de frapper juste et fort. Je te connais. Tu ne failliras pas à la besogne. Et là tu marqueras ton essai – transformé en victoire par la volonté de tous.Bonne chance, petit. Nous sommes sans crainte à ton sujet. Tu es né veinard. Tu pars au moment où la gloire grandit, où le danger paraît diminuer. Rassure-toi. Tu seras là « pour la seconde mi-temps ». Et tu sais que, chez nous, c’est la bonne ! Tu trouveras le quinze bien décimé … Quatre déjà sont sur la touche. Vous jouerez incomplets. Mais tu es remplaçant et les remplaçants nous ont toujours porté bonheur.

Joue dur. Joue « personnel », nous te le permettons, mais joue serré. – Et le soir de la revanche, nous irons t’attendre à la gare avec des feux de bengale, des musiques et des palmes, pour fêter, avec ton retour, la victoire de la grande équipe, des vrais champions de la France.

Le vibrant « aux morts de mon pays » sera, dans la même veine, l'un des textes exprimant son aversion pour la chose militaire. Ce texte sera lu sur la scène de la Comédie Française également par l'actrice Madeleine Roch le 18 novembre 1922.

Bausil se justifiera en 1921 d'être resté au pays durant la guerre dans le texte « La terrasse au soleil » inscrite dans le recueil du même nom :

 « (…) comme vous, j'ai rêvé de conquérir la ville,J'avais vingt ans, j'avais une âme de vainqueur
(…)Je suis resté. Les voix du sol et de la race Ont retenu l'essor au moment de l'éveil.
Le soleil a doré la treille et la terrasse Et j'ai chanté devant la terrasse au soleil »

Bausil, animateur de la vie culturelle de l'entre-deux-guerre et la découverte de Trenet :

En 1917, il prend la direction du journal satirique et littéraire « le Coq Catalan ». Amateur de la blague et le jeu de mots le nom du journal est déjà à lui-seul un calembour « Le Coq à talents ». Y signent des noms tels que joseph Delteil, Jean Cocteau, Antoine de Saint Exupéry, Max Jacob, Gaston Bonheur, Robert Brasillach et l'on y découvrira des talents (Jordi Pere Cerdà, Joan Cayrol, Paul Pugnaud, Josep Sebastià Pons, Joan Amade, Louis Amade et... Charles Trenet qui signera des chroniques sous les pseudonymes de Charles ou Jacques Blondeau afin de dissimuler ses contributions « artistiques » à sa famille). Dans la lignée du « Cri Catalan », le journal traite de la vie locale avec humour et dérision. Ce journal connaît aussi un grand succès au point cette fois de concurrencer le mastodonte « l'Indépendant ».

La renommée de l’hebdomadaire amène alors celui-ci à se présenter comme un « créateur de tendances », un dénicheur de talents, du moins, à contribuer aux réussites culturelles. Albert Bausil est le « Coq Catalan », il lui donne son âme et sa philosophie ce qui, à travers ce média, va permettre aux frères Bausil, Louis et Albert, de s'imposer comme les « Messieurs Culture » du Perpignan de l'entre-deux-guerres. Si Charles Trenet doit beaucoup à Albert Bausil, c'est aussi grâce à son « Coq catalan » dans lequel, il a aiguisé son art, son écriture et sa culture.

Charles Trenet est le fils de Lucien Trenet, un notaire narbonnais ami de Bausil. Ils se rencontrent pour la première fois à Perpignan en 1926, sur l'actuelle Place Arago. Charles, encore enfant, se présente comme le fils de son ami Lucien et lui expose sa nature « d'artiste peintre et de poète ». Ayant fuit la montée du mouvement nazi en Allemagne où il avait été envoyé en 1922 (sa mère résidait à Berlin), il revient en France où il découvre le jazz, le surréalisme et les poèmes en calembours. Suite à cette rencontre en 1926, Albert Bausil s'exclamera partout auprès de ses amis perpignanais « J'ai découvert un Génie ! Le fils du Notaire ! ». En 1928, Trenet se fait renvoyer du lycée. Commence alors une vie de bohème et d'expression artistique. En 1929, alors qu'il n'a que 16 ans, il décide véritablement que sa vie serait faite de poèmes, de peintures et il se rêve artiste peintre, journaliste culturel ou acteur de cinéma. Bausil, très impliqué lorsqu'il s'agit d'encourager le talent artistique, le prend véritablement sous son aile. Il deviendra son mentor ayant sondé déjà le potentiel de ce jeune artiste en devenir. Il connaît ses poèmes, son style mais également son attitude joviale. Et il est sous le charme de ce garçon à « la blondeur de ses cheveux fous ». Longtemps, on présentera Trenet comme le fils spirituel d'Albert Bausil. Dès lors, Albert Bausil ne cessa jamais de pousser Charles jusqu'à la carrière qui lui est connue : « ne deviens pas un Bausil, Charles, monte à Paris. Ne t'encroûte pas à Perpignan » Trenet exprimera plus tard, en 1971, dans sa chanson « Fidèle » (à qui saura lire entre les lignes) son amour pour le « Drôle d'Albert ».

«  Fidèle, Fidèle, je suis resté Fidèle A des lieux et des amis très doux.
Un drôle d'Albert et sa sœur en dentelles Un Castillet tout neuf, un Canigou
(…)
A présent, quand j'y pense,
Je pleure toujours mon premier amour.
(…)
Quand on sait bien que l'on est plus qu'une ombre
Fidèle à d'autres ombres à jamais. »

A 17 ans, Charles Trenet suit les conseils de son mentor. Il monte à Paris le 23 octobre 1930. Une correspondance existe entre les deux hommes, l'un décrivant la chance qui s'offre à lui de connaître une ascension que rien ne semble arrêter, et l'autre l'encourageant et suivant depuis Perpignan la carrière naissante et prometteuse de son jeune protégé, l'élève qui, doucement, était en train de dépasser le maître. Connaître Albert Bausil, c'est donner le véritable sens à la carrière de Trenet et comprendre comment il a gagné à être considéré par ses suivants, notamment Brel, Brassens ou Aznavour, comme « Père de la Chanson française » au point d'avoir révolutionné la manière de « faire de la chanson ».

Le Roussillon, une terre « d'attache » :

« Il faut agrandir sa province aux limites de l'horizon, et non rétrécir son horizon aux limites de sa province ». Albert Bausil. Fidèle à la lui-même, Bausil reste, en effet, dans son Roussillon cher à son cœur. Il parcourra ses chemins, Il continuera à lui livrer ses plus belles lettres, ses plus délicates formules. Ses textes sont publiés dans le « Coq Catalan » et dans la revue « Tramontane » et il vit de la production de pièces de théâtre et de la création de revues théâtrales. Il est également un prosateur hors pair « L'âne qui mange des roses » (1924),  « Itinéraires en Roussillon » (1937) qui se veut être une sorte de circuit touristique en six parties dans lequel le Patrimoine garde une place importante, « Pel Mouchi » qui est en quelque sorte une autobiographie présentant son enfance perpignanaise et son adolescence. Animateur de la Culture perpignanaise, défenseur d'un territoire, de son Patrimoine et de la culture roussillonnaise, il sera un personnage incontournable durant l'entre-deux-guerres. Toutefois, il « ratera » l'occasion d'une reconnaissance nationale. Certains diront qu'il n'est pas monté à Paris par absence d'ambition mais, l'on s'accorde à dire qu'il s'agit d'un désir d'investissement pour cette terre jusqu'à son dernier souffle.

A ce propos, Charles Trenet lui-même écrira : « Roi de Perpignan et prince des poètes qui, un soir, fait merveille dans le rôle de L'Aiglon. Tu cumules Albert, le jour en Chanteclerc, le soir en duc de Reichstag. Le rideau tombe. Un triomphe. Le lendemain "L'Indépendant" titre : "Albert Bausil, la Sarah Bernhardt roussillonnaise". C'est la gloire, la totale réussite. Et c'est aussi ton point faible, Albert, cette gloriole de préfecture. Depuis longtemps, un aigle de plus d'envergure te maintient dans ses serres. Tu feins de ne pas le voir, de te moquer de lui, même de ne pas y croire. Pourtant tu sais qu'il existe et qu'il ne te lâchera plus, ce rapace appelé province ».


Albert Bausil mourra le 2 mars 1943, dans sa maison de la rue Jeanne d'Arc à Perpignan d'une crise d'urémie. Juste avant de s'éteindre, il parviendra à écrire encore :

« Et pourtant, le bonheur, ce n'est pas d'être sage, ni de se résigner à la mort de l'été. C'est abolir le temps, c'est oublier son âge et de garder toujours assez d'absurdité pour croire au renouveau des pâques impossibles. Le bonheur, ce n'est pas le réel, le tangible, le navire à sextant, boussoles et compas,ce n'est pas le butin vivant que l'on capture : C'est la lente, lointaine et menteuse aventure vers l'Ile qui n'existe pas ».

La poésie incarnée

A sa mort, nombre d'artistes lui rendront hommage et tous font référence à cette formule « Albert Bausil était la poésie incarnée ». Par sa vision de la vie, ses moindres gestes, son attitude, tout en lui était poésie.

«  Un beau jour, j'ai vu la poésie, la poésie en chair et en os, la poésie faite homme ; oui, tout en BAUSIL était poésie : sa démarché gazelleuse, son chapeau oiselin, le pli de son pantalon et le zig zag de son œil, son je ne sais quoi, son rien, son tout, son lui, sa demeure, sa sœur que j'adorais. L'avais vous vu grimper à Font-Romeu, ou rire, ou vous sauter au cou. Ah ! Le délicieux spécimen d'humanité ; ah ! Le poète ! Dire qu'il y a des types qui ont vu Jésus, Barberousse, Citroën, moi j'ai vu, de mes yeux vu, vous dis-je la poésie. » Joseph Delteil :

« Cette (…) vision d'Albert Bausil résume à mes yeux ce qu'il fut pour de nombreux jeunes gesn épris de littérature et de poésie, qui trouvèrent en lui la parfaite image d'un poète qui aussi poète dans sa vie que dans ses œuvres. » Paul Pugnaud

« Une dernière fois, vous m'avez appelé. Nous vous avons aidé à vous asseoir. Vous avez demandé une feuille blanche, un crayon. "Je suis encore capable d'écrire un poème", avez-vous dit. Sur le seuil redoutable, votre suprême pensée a été pour votre art. Puis vous êtes retombé pour toujours. » Cyprien Lloansi

« Que devient Perpignan vidé de cette figure qui courait dans ses rues comme un feu de St Elme ? Charles Trenet lui doit une bonne part de sa grâce. Et tout ce qui chante, et tout ce qui rêve nous le ressuscite et nous fait vivre avec lui ». Jean Cocteau

« Albert Bausil, poète fabuleux,qui ne voulut jamais quitter sa ville natale,aurait un nom célèbre et célébré s'il avait accepté de se faire « consacrer » par Paris. Il possédait un génial talent aux multiples facettes qui faisait de lui une sorte de Jean Cocteau roussillonnais. C'étaient deux êtres très semblables et très différents. Il est mort à la fin de l'occupation, après qu'il eut écrit dans son journal cette phrase demeure vivante dans la petite de Perpignan « Monsieur Adolf Hitler, je vous emmerde. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. » Louis Amade

« Pour les échappées à Collioure où je peignais la vieille tour phallique, assis sur les marches de la chapelle Saint-Vincent, les escapades à Font-Romeu où, en échange de huit jours gratuits au Grand-Hôtel, nous écrivions, jouions et chantions des saynètes également interprétées par les jeunes clients, pour les haltes à Vernet-les-Bains, station d'ombre et de fraîches eaux (celles du Cadi gentil torrent essayant d'être impétueux), pour les retours en fête dans le tortillard électrique de la Cerdagne vers la ville en foire ou en carnaval mais toujours l'un et l'autre à nos yeux, pour les discussions interminables avec Cyprien Lloansi, Henri de Broquery auxquels se joignaient de nouveaux venus intrigués par notre vision des choses et qui la plupart du temps nous quittaient épouvantés, pour les polémiques sublimes dirigées contre le géant "L'Indépendant", journal à gros tirage que la fronde du petit David de Perpignan atteignait parfois sur trois colonnes à la une, à la lune, à la hue et à la dia, pour tout cela, merci, Bausil ! Merci Albert. J'ai passé grâce à vous, grâce à toi, la période transitoire de mon adolescence dernière dans un bain sublime où le merveilleux me donna le pouvoir de planer tout en renforçant mes racines - ange et arbre à la fois. L'image doit te plaire dans ton ciel d'éternité. Depuis longtemps je ne suis plus un ange mais arbre je demeure. Permets que la cime de mes frondaisons caresse un instant, en souvenir de tant de bonheurs, le bout de ton aile que j'aperçois là-bas dans ce nuage qui accourt ! (...) » Charles Trenet


Le Temps des Hommages

Durant plusieurs années, la mémoire d'Albert Bausil s'est ténue au risque que son nom disparaisse du souvenir en même temps que ceux qui l'avaient connu. Seuls les spécialistes de Charles Trenet ou les érudits de littérature roussillonnaise savaient son nom, son histoire et cette fabuleuse influence, ce vent de liberté et de joie de vivre qu'il n'avait eu de cesse d'insuffler à cette ville du Sud de la France (et plus largement, sans le savoir, au reste de monde à travers la carrière de Charles Trenet qui s'inscrivit dans la continuité de Bausil). Heureusement, des artistes comme Jean Edouard Barbe ont contribué à sauvegarder sa mémoire, puis, Jordi Barre et plus proche de nous, Hugues Di Francesco qui signe l'album « sur les chemins d'Albert Bausil » (2016). Des livres consacrés au Drôle d'Albert sont aussi été édités. C'est le cas des Editions de l'Olivier dans la collection « Classiques roussillonais » : Albert Bausil de Pere Verdaguer et les Editions Zinedi « Albert Bausil, Le coq Catalan, Le Matelas de nuages, préfacé par Jean-Edouard Barbe » (2015-2016/ couplé à l'Album précité d'Hugues Di Francesco).

Les œuvres

Bibliographie d'Albert Bausil (selon Cyprien Lloansi dans la Revue « Tramontane » mars-avril 1947):

Poésie : Primeroses et Rimes roses, 1905 Hymnes de France – Editions Le Coq Catalan, 1916 Heures Perpignanaises – Editions de la Revue Catalane, 1920 Au Muscle catalan – Editions de la Revue Catalane, 1921 La Guirlande roussillonnaise – Editions de la Revue Catalane, 1921 La Terrasse au Soleil – Editions Le Coq Catalan, 1921 La Neuvième Offrande – Editions Le Coq Catalan, 1923 Poèmes d'Amour et d'Automne – Editions Occitania (Paris) 1928 Le Matelas de nuages – Editions Le Coq Catalan, 1936

Prose : Le Bonheur passe, 1 acte avec Frédéric Saisset (SASL) La Blouse, Comédie en 1 acte, Comet, Perpignan, 1910 Petit Roi, pièce en 3 actes, Barrière, Perpignan, 1912 l'Âne qui mange des roses, chroniquettes – Editions Le Coq Catalan, 1924 Le Rugby Catalan, avec Jean Vidal, 1924 La joie de vivre, Conférence – Editions Le Coq Catalan, 1925 La Fontaine du Pèlerin – Imprimerie Catalane, 925 Stèles – Editions Occitania (Paris) 1928 Pel Mouchi, Histoire d'un petit garçon perpignanais en 1890 « Le Héros de Province » - Editions Le Coq Catalan, 1936 Itinéraires en Roussillon – Editions Le Coq Catalan, 1937

Oeuvres publiées dans l'hebdmadaire « Le Coq Catalan » mais non éditées en volumes : Contes La Vie amoureuse de Monsieur Deibler, Vie romancée fantaisiste Cartes postales Ephémérides Auteuil 88-48

Oeuvres inédites, laissées en chantier ou en projet : Vedettes Suite de Pel Mouchi : Le Héros de Théâtre, le Héros de Roman Le Coq a chanté, Poème symphonique en 1 acte.

En outre, Albert Bausil a publié de nombreux articles et textes divers et donné une vingtaine de conférences et plus de trente revues locales. Il a aussi composé ou préparé le scénario de plusieurs films qui n'ont pu être exécutés en raison des circonstances. Notons ; La Route sans étoiles, avec Cyprien Lloansi, Sang et Or ou l'Appel de la Race, le Canal du Midi, projeté avec Jean Girou, Une Journée avec Joseph Desclaux, Capitaine de l'Equipe de France. Ce dernier a été tourné en 1943, au Domaine Sant Vicens (Perpignan) et à Collioure par les Film Jean d'Esme.

Les œuvres / manifestations relatives à Albert Bausil : Livres / publications littéraires :

« Sacha Guitry, Charles Trenet et Albert Bausil à Vernet-les-Bains » par Jean Cardonne – Editions du Donjon, 1997 « Le Grand Charles » par Stéphane Hoffmann – Editions Albin Michel 1998 « Claude Simon, Le tramway » Revue Littératures, n° 46, Presses Universitaires du Mirail Toulouse, printemps 2002 « La folle jeunesse de Charles Trenet » par Bernard Revel – Editions Mare Nostrum, 2003 « Classiques Roussillonnais : Albert Bausil » par Pere Verdaguer – Editions de l'Olivier, 2005 « Perpignan au temps des Bausil » - Editions Col.leccio Font Nova 2 – Editions bilingue Français Catalan, 2006 « Charles Trenet, une vie enchantée » par Sandro Cassatti – Editions City, 2011 « Charles Trenet, le philosophe du Bonheur » par Jacques Pessis – Editions de l'Archipel, 2011 « Claude Simon : Situations » par Pascal Mougin et Paul Dirkx – Editions ENS, 2011 « Quand Charles Trenet chantait Codet » Revue Le chercheur d'Or N° 47, septembre 2012 « Les Héros perdus de Gabrielle » par Hélène Legrais – Editions Calmann-Levy, 2012 "Charles Trenet, à ciel ouvert" par Jean Philippe Segot – Editions Fayard, 2013 « Y'a d'la joie – Charles Trenet », Préfacé par Charles Aznavour – Editions du Cherche midi 2013 « Trenet méconnu » par Vincent Lisita – Illustré par Cabu – Editions Les Échappées, 2015 « Promotion Aimé Giral » par l'Amicale des Anciens Arago en partenariat avec Hélène Legrais – Lycée François Arago, 2015 « Albert Bausil, Le Coq Catalan – Le Matelas de Nuages, préfacé par Jean Edouard Barbe » - Editions Zinedi, 2015-2016

Manifestations : Conférences : Promenade Littéraire dans les rues de perpignan, Textes choisis – présentés par Michel Wallon – (CML – Mare Nostrum), 2004 Exposition « Perpignan au Temps des Bausil » Couvent des Minimes 1er avril – 31 mai 2006 « Louis, Albert Bausil et leurs amis » par Jean-Bernard Cahours d'Aspry, 2006 « Semaine Littéraire à Perpignan » par le CML, Josiane Coranti, Jean-Louis Ferrer, Hélène Legrais notamment à la Maison Rouge – 16-20 octobre 2012 « Hommage au « Fou 100 ans » - Evocation de l'influence de Bausil dans l’œuvre de Trenet – 18 octobre 2013 au Barcarès. « Aimé Giral, du Bouclier aux tranchées » par Hélène Legrais – conférences et expositions itinérantes, 2015 Festival PAD 2015 – 19 juin Lectures de textes d'Albert Bausil à la Maison Rouge Festival PAD 2015 – 19 juin : Causerie apéritive autour de la rencontre entre Albert Bausil et Charles Trenet – LGBT66 – La Maison Rouge

Musique : « Petit carrosse » adaptation italienne « Sulla carrozzella » Editions Rampoldi G PPE Di Guerini Gualtiero / Meridian Editions, 1955 « La chanson des 3 roses », Charles Trenet, Albert Bausil – Editions Vianelli / Raoul Breton 1956 Sur le Yang tsé Kiang – Laurent Hess / P.E Guillermin Trenet / Brassens – Editions Edimarton, 1976 Jean Edouard (Barbe) chante Albert Bausil –Jean Edouard Barbe- 33 tours, Ed. Polydor, Le rideau Rouge/ Chappell, 1978 André Carradot « Apaisement » date ? Aimé François « Voyages » date ? « Sur les Chemins d'Albert Bausil » Hugues Di Francesco – Julien Lebart, 2016

Références et Remerciements :Médiathèque de Perpignan, CML – André Bonet, Famille Briozzo, Françoise Chalade, leblogabonnel, Jean Iglesis, Pere Verdaguer, Hélène Legrais, Association « Des Voix, des Mots » - Josiane Coranti et Jean Louis Ferrer, Vincent Lisita.